29 mars 2024
Paris - France
EUROPE

Aboubakar Soumahoro, le migrant ivoirien devenu député italien, entré en bottes crottées au Parlement

C’est l’histoire d’Aboubakar, enfant cireur de chaussures en Côte d’Ivoire tombé amoureux de l’Italie à travers les magazines de mode. Débarqué sur sa terre promise en 1999, à l’âge de 19 ans, Aboubakar Soumahoro découvre de plein fouet la dure réalité de la vie des migrants dans ce pays qu’il idolâtrait. SDF, condamné à dormir dans la rue et à se contenter de travaux précaires, tour à tour maçon, ouvrier agricole, Aboubakar ne comprend pas et n’accepte pas sa condition, conséquence selon lui de décisions politiques erronées.

Avec le temps, Aboubakar Soumahoro décide donc prendre les choses en main. Il décroche un master en Sociologie et milite afin d’aider les migrants sans papiers, en se concentrant sur l’exploitation des ouvriers agricoles, un monde qu’il connaît bien. Tellement militant qu’il créera ensuite un syndicat représentant les travailleurs de ce secteur.

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Député italien

Devenu citoyen italien, cet homme de 42 ans a une occasion unique de changer les choses, depuis le Parlement. Car Aboubakar a remporté un siège avec l’alliance Verts-Gauche italienne lors des élections nationales du 25 septembre dernier. Il compte bien se faire une place dans les rangs de l’opposition et mener la vie dure à la coalition conservatrice de centre-droit qui a gagné les élections législatives et qui a promis de réprimer les demandeurs d’asile.

Car le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) de Giorgia Meloni et la Lega (Ligue) de Matteo Salvini ont en effet promis lors de la campagne électorale de bloquer les bateaux de migrants en provenance d’Afrique du Nord et ont adopté ce qu’ils appellent une politique « Les Italiens d’abord« .

Aboubakar Soumahoro en 2015, porte-parole de l'association 'Sans-Papiers'; en larmes lors d'une manifestation de demandeurs d'asile devant le parlement italien à Rome.
Aboubakar Soumahoro en 2015, porte-parole de l’association ‘Sans-Papiers’; en larmes lors d’une manifestation de demandeurs d’asile devant le parlement italien à Rome. AFP

Ses bottes, symbole de lutte contre les injustices et la précarité

Mais pour Aboubakar Soumahoro, la droite ne saisit pas la réelle gravité des problèmes rencontrés par les familles ordinaires et pour lui « placer les Italiens d’abord ne va pas sortir 5,6 millions d’Italiens de la pauvreté […] « Une chose que je vais essayer de faire, c’est de m’assurer que personne ne finisse par vivre dans la rue comme moi. Les gens doivent être traités comme des êtres humains, quel que soit leur passeport« .

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Le 13 octobre dernier, lors de la rentrée parlementaire, seul parlementaire d’origine africaine à la Chambre des députés, ainsi que l’un des rares à avoir été élu au cours des 160 ans d’histoire de l’Italie, Aboubakar Soumahoro s’est présenté chaussé des bottes crottées. Les mêmes bottes que celles utilisées par ceux qui récoltent les tomates dans les champs, afin de symboliser les injustices auxquelles sont confrontés les ouvriers agricoles au pays de Dante, Gucci et Eco.

« Je porte ces bottes – symbole des souffrances et de l’espoir du Paese reale (ndlr : une expression entrée dans le lexique politique moderne et contemporain pour indiquer le contraste (manifeste) entre les classes sociales d’un pays et celui qui détient le pouvoir politique) qui entre dans l’hémicycle avec moi pour légiférer – en mémoire de ceux qui sont morts au travail, de ceux qui sont discriminés et de ceux qui ont faim. Les pieds dans la boue de la réalité et l’esprit dans le ciel de l’espoir. »

RTBF
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