23 avril 2024
Paris - France
AFRIQUE INTERNATIONAL

A Bamako, des milliers de Maliens fêtent le coup d’Etat

Des milliers de personnes se sont rassemblés pour fêter le «Mali libéré», trois jours après le putsch militaire qui a conduit à la démission du président IBK.

Ils ont envahi, tout un symbole, la place de l’Indépendance à Bamako, haut lieu de la contestation sociale et politique qui agitait le pays ces derniers mois. Mais ce vendredi, les Maliens descendus par milliers dans les rues de leur capitale ne sont pas venus protester, mais célébrer le coup d’Etat perpétré mardi par une junte militaire, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), composé d’une poignée d’officiers supérieurs respectés de leurs hommes.

Comme sevrés de leurs colères contre un régime jugé corrompu et inefficace, les manifestants ont fêté le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), dont ils réclamaient le départ depuis début juin, et qui a été contraint à la démission par les militaires, à deux ans de la fin de son second mandat. IBK «fait désormais partie du passé», se félicite Issa Kaou Djim, coordinateur de la Cmas, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko, figure de proue de la contestation.

«IBK a accepté de partir»

Dans la bouche des manifestants, le terme «coup d’Etat» est souvent remplacé par celui de «démission», plus consensuel. Et qui a le mérite, à leurs yeux, d’être constitutionnel : «Dieu merci, ça n’a pas été un coup d’Etat ! s’écrie Mouna sous l’arche du monument de l’Indépendance. Il y a eu de la compréhension, IBK a accepté de partir car il a dit qu’il ne voulait pas que le sang soit versé pour le Mali. Le Président a accompagné le processus en démissionnant et il a libéré le pays.»

Un avis que nuance légèrement Cheick Aliou Soumaré, tout aussi à la joie de ce «Nouveau Mali libér黫Le départ d’IBK n’est pas en contradiction avec nos textes, parce que la démission est prévue par notre Constitution. Les forces de sécurité l’ont poussé, l’ont contraint, mais cette méthode n’est pas anticonstitutionnelle, ce n’est écrit nulle part ! Ils ont juste encouragé sa démission, pour que le peuple puisse obtenir ce qu’il demande depuis des mois : sa propre liberté», justifie-t-il avant de laisser éclater sa liesse.

Signe de la convergence entre manifestants et militaires, plusieurs figures du putsch, dont le colonel Malick Diaw et le colonel-major Ismaël Wagué, porte-parole du CNSP, ont participé au rassemblement. «Nous sommes venus vous remercier, remercier le peuple malien pour son soutien. Nous n’avons fait que parachever le travail que vous aviez commencé et nous nous reconnaissons dans votre combat», a lancé à la foule Ismaël Wagué.

Sur la grande scène montée sous le monument de l’Indépendance, et sur laquelle les leaders du Mouvement dit du 5 juin (M5-RFP) prennent la parole, les places sont chères et quelques pugilats opposent ceux qui en filtrent l’accès et ceux qui voudraient s’y afficher. A l’image du député Mamadou Hawa Gassama, l’un des doyens de l’Assemblée nationale, qui enchaîne les mandats sans discontinuer ces trois dernières décennies. Refoulé par trois fois, il crie au scandale, tandis que d’autres gravissent les marches menant aux sièges alignés derrière le pupitre.

La scène devient arène, où se livre une guerre de communication dont l’enjeu semble être un gâteau politique dont tous veulent une part. «Il faudrait davantage mettre en avant l’EMK [Espoir Mali Koura]» glisse, de façon insistante, un chargé de communication, qui cherche à placer le leader de ce mouvement de la société civile, le cinéaste et ancien ministre de la Culture Cheick Oumar Sissoko.

La Cédéao, nouvel ennemi

Dans la foule qui se presse, les pancartes brandies sont différentes des précédentes manifestations. Les traditionnels «IBK dégage» ont cédé la place à des slogans contre la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui exige, sous peine de sanctions, le retour à l’ordre constitutionnel et le rétablissement immédiat du président IBK.

Intransigeante, l’organisation régionale semble être devenue le nouvel ennemi, le nouvel obstacle à surmonter pour aller de l’avant. «Nous disons non aux sanctions, car elles ne sont pas normales, elles ne tiennent pas compte de la réalité du terrain !» s’agace Cheick Oumar Sissoko qui, la veille lors d’une conférence de presse, appelait à «briser la ligne rouge de la Cédéao». «Les sanctions comme les embargos, ne peuvent pas durer longtemps, parce que nous aussi apportons aux autres. Nous apportons pas moins de 1 000 milliards de CFA par an [environ 150 millions d’euros] à la Côte-d’Ivoire. Le carburant, les fruits, les légumes, l’huile : ce sont des produits ivoiriens. Si on nous sanctionne, ce sera un manque à gagner énorme pour eux», lance le leader de l’EMK.

Sur la place de l’Indépendance, M. Traoré, 72 ans, entame une danse de la joie, se dit empli d’espoir et fier de cette armée qui a fait chuter le régime. «Aujourd’hui, nous sommes libérés et très heureux. Nous sommes ici pour fêter notre victoire et féliciter le peuple du Mali pour cette nouvelle ère qui s’ouvre», se réjouit-il. Une nouvelle ère pour la jeunesse malienne qui, espère-t-il, fera du pays une vraie démocratie sevrée de la corruption, du népotisme et de la démagogie.

Source : Libération.fr

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