Au–delà des nombreux désaccords opposant le président et le premier ministre, la perspective de l’élection suprême de 2029 cristallise déjà la crise au sommet de l’État. Une échéance à laquelle Ousmane Sonko et ses partisans soupçonnent Bassirou Diomaye Faye de s’intéresser de plus en plus.
L’information circule dans l’entourage d’Ousmane Sonko depuis le mois de juillet. Usant d’une de ses prérogatives présidentielles, Bassirou Diomaye Faye aurait, dans la plus grande discrétion, sollicité l’avis du Conseil constitutionnel sur un sujet hautement sensible. Celui–ci porte sur l’éligibilité de son premier ministre et ancien mentor. Chef de file de l’opposition sous l’ex- président Macky Sall (2012-2024), Ousmane Sonko a dû s’effacer derrière l’actuel président, son lieutenant d’alors, faute d’avoir pu briguer la magistrature suprême en 2024, pour des raisons judiciaires.
Mais, près d’un an et demi après leur arrivée au pouvoir, les conditions censées permettre à Ousmane Sonko d’être candidat à la prochaine élection présidentielle, prévue pour 2029, ne seraient toujours pas réunies. À la surprise générale, le premier ministre, qui avait déposé un recours devant la Cour suprême de Dakar après avoir été condamné en appel pour diffamation envers l’ex–ministre du tourisme Mame Mbaye Niang (2022-2024), a vu sa requête rejetée par l’institution le 1er juillet. Cette affaire lui a déjà coûté le fauteuil présidentiel en 2024, et risque de compromettre ses chances d’y accéder en 2029. Bien que son délai d’application fasse débat, la condamnation est assortie d’une peine d’inéligibilité de cinq ans.
C’est dans la foulée de ce camouflet que le premier ministre et ses proches suspectent Bassirou Diomaye Faye d’avoir sondé le Conseil constitutionnel. Ceux–ci s’étonnaient alors du fait que le président n’ait toujours pas fait usage de son droit de grâce afin de soustraire Ousmane Sonko à ses ennuis judiciaires. Ils ont dès lors fort peu goûté cette initiative présumée du chef de l’État, qu’ils soupçonnent d’avoir des visées pour 2029. Un scénario qui contreviendrait au « protocole du cap Manuel« , sorte d’accord tacite que les deux hommes auraient conclu juste avant de sortir de prison, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de mars 2024. Selon les termes de ce marché secret, Bassirou Diomaye Faye ne devait effectuer qu’un seul mandat, et laisser sa place à Ousmane Sonko pour le suivant.
Les soupçons des caciques du Pastef
Une telle perspective apparaît désormais de moins en moins certaine aux yeux de l’entourage du premier ministre, et les doutes quant à une éventuelle candidature de Bassirou Diomaye Faye en 2029 alimentent la crise qui sévit actuellement au sommet de l’État. Si les tensions entre les deux hommes, en proie à plusieurs désaccords de taille, notamment sur les plans diplomatique et politique, étaient d’ores et déjà palpables (AI du 07/11/25), elles ont récemment éclaté au grand jour après la décision de Bassirou Diomaye Faye de limoger la patronne de la coalition présidentielle, Aïda Mbodj, le 11 novembre.
Un geste interprété comme un véritable désaveu envers Ousmane Sonko, qui avait exprimé tout son soutien à cette ancienne ministre de la femme, de la famille et du développement social (2004-2007) dont il est proche, à l’occasion d’un meeting d’envergure ayant eu lieu trois jours plus tôt à Dakar. Le chef du gouvernement ne s’avoue toutefois pas vaincu. Convoqué à son initiative, le bureau politique des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), le parti fondé par Ousmane Sonko et dont Bassirou Diomaye Faye est un pur produit, a affirmé que le président n’avait pas le pouvoir de démettre Aïda Mbodj de ses fonctions.
Au sein de cet appareil profondément loyal au premier ministre, des critiques commencent à se faire entendre quant à la volonté supposée du président de se frayer un chemin vers 2029. Des caciques de la formation regardent notamment d’un œil circonspect les liens que s’efforce de tisser Bassirou Diomaye Faye avec une poignée de petits partis, le suspectant de chercher à se constituer sa propre base politique afin de ne plus dépendre uniquement de la popularité d’Ousmane Sonko.
Une partie de l’entourage présidentiel est également pointée du doigt. Depuis son arrivée au pouvoir, le chef de l’État a fait le choix de s’appuyer sur plusieurs personnalités déjà en poste sous Macky Sall, à l’instar de son directeur de cabinet, l’ex–ministre de l’éducation Mary Teuw Niane ou encore d’Oumar Samba Ba, discret technocrate ayant déjà exercé la fonction de secrétaire général de la présidence sous la précédente administration. Bien qu’elle se soit muée en farouche opposante de l’ex–président après leur brouille en 2022, la proximité de Bassirou Diomaye avec l’ancienne première ministre Aminata Touré, qu’il vient de nommer à la tête de la coalition présidentielle en remplacement d’Aïda Mbodj, provoque également son lot d’attaques en interne.
Une médiation pour apaiser les tensions?
Dans les rangs du Pastef, une attitude de défiance commence également à se faire sentir envers Absa Faye, la plus jeune des deux épouses de Bassirou Diomaye Faye. En coulisses, certains fidèles d’Ousmane Sonko se méfient de l’activisme croissant de cette
trentenaire ayant étudié en France, que l’actuel président, alors secrétaire général du parti, a épousée quelques mois avant d’être incarcéré en avril 2023.
Tandis qu’une forme de paranoïa sévit quant à d’éventuelles tractations de personnalités du pouvoir avec Macky Sall – qu’Ousmane Sonko et ses soutiens
souhaitent traduire en justice – les liens de la première dame avec l’entourage du prédécesseur de son époux à la tête du pays interpellent. Car Absa Faye n’est autre que la belle–sœur d’Omar Youm, ancien ministre des transports puis de l’armée sous Macky Sall. Avocat de formation, il fait même actuellement partie des conseillers défense de l’ancien président (AI du 20/01/25).
Sur la défensive depuis quelques semaines, le premier ministre s’est mis en retrait du gouvernement jusqu’au 21 novembre, officiellement afin de prendre du repos. L’intérim est exercé par une de ses proches, la garde des sceaux Yacine Fall. À Dakar, les noms d’une poignée de personnalités, à l’image du respecté défenseur des droits de l’homme Alioune Tine ou encore de l’homme d’affaires Pierre Goudiaby Atepa, sont désormais évoqués dans le cadre d’efforts de médiation en cours entre les deux plus hauts personnages de l’État. Figure historique du Pastef, le désormais président de l’Assemblée nationale, El Malick Ndiaye, pourrait également jouer les intermédiaires. Cet ancien cadre de l’entreprise française Eramet avait déjà su apaiser les tensions ayant jalonné le dernier remaniement ministériel de septembre 2025.
Contacté, ni la présidence ni le Conseil constitutionnel n’ont donné suite à nos sollicitations.
AFP

Leave feedback about this