Bicéphalisme au Sénégal : Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, du duo au duel.
« Le président n’a pas ce pouvoir »: au Sénégal, Sonko et Faye s’affrontent sur un poste clé de la coalition.
Une nouvelle crise a éclaté au grand jour ce mardi 11 novembre entre le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, en plein bras de fer sur le sort de la cheffe de la coalition présidentielle.
Un an et demi après leur arrivée au pouvoir, le président et son premier ministre peinent à cacher leurs importants désaccords. Une situation qui enraye le fonctionnement de l’État, au cœur d’une crise financière sans précédent.
Au sein du centre des expositions de la ville nouvelle de Diamniadio, à quelques kilomètres de Dakar, l’intelligentsia sénégalaise se presse en cette matinée du 28 octobre pour assister à une cérémonie d’hommage en l’honneur d’Amadou- Mahtar Mbow, premier Africain à la tête de l’Unesco entre 1974 et 1987. Drapés de boubous aux couleurs sobres, le président Bassirou Diomaye Faye et le premier ministre Ousmane Sonko échangent des plaisanteries tout en arpentant le tapis rouge qui les mène à l’auditorium.
L’image sera abondamment reprise sur les réseaux sociaux, afin de démentir les rumeurs de tensions entre le chef de l’État et son ancien mentor. Car, au sein de l’establishment sénégalais, d’aucuns prédisent une durée de vie limitée à ce tandem jugé de plus en plus dysfonctionnel. Ousmane Sonko, leader historique de l’opposition à l’ex- président Macky Sall (2012-2024), a dû se contenter de la primature après la victoire de son camp, faute d’avoir pu briguer la magistrature suprême en 2024 pour des raisons judiciaires. Depuis lors, le premier ministre n’hésite pas à empiéter sur les prérogatives traditionnelles du chef de l’État, qu’il avait désigné comme son dauphin en amont de l’élection.
Soif de reconnaissance à l’international
À la différence de la majorité de ses prédécesseurs à cette fonction, Ousmane Sonko a multiplié les tournées officielles à l’étranger, se rendant notamment en Chine, en juin, puis en Turquie, en août. Dans les deux cas, il y a été reçu au plus niveau, s’entretenant personnellement avec les présidents chinois Xi Jinping et turc Recep Tayip Erdogan.
C’est aujourd’hui une puissance non moins emblématique qui suscite sa soif de reconnaissance à l’international. À Ouagadougou en mai, celui qui s’est rapidement imposé comme l’homme fort de l’État sénégalais s’est ouvert au chef de la junte burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, d’un projet de déplacement à Moscou dans le but de rencontrer Vladimir Poutine. Cette visite n’a toutefois pas encore reçu l’aval du président Bassirou Diomaye Faye, qui devait se rendre lui–même en Russie après y avoir été expressément invité par le maître du Kremlin, il y a un an.
Ces frictions dans la sphère diplomatique, domaine habituellement réservé de la présidence, ne sont pas sans précédent. Déjà, en août 2024, le déplacement d’Ousmane Sonko au Mali, dans une démarche visant à apaiser les relations entre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES – Burkina Faso, Mali et Niger), avait suscité une levée de boucliers chez certains hiérarques du ministère sénégalais des affaires étrangères.
L’épineux dossier du FMI
Au–delà de la politique étrangère, un tout autre dossier est venu crisper les relations au sein du duo Faye–Sonko et de leurs entourages respectifs. Il s’agit des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), dont l’issue est censée permettre au pays de reprendre son souffle sur le plan financier. Dakar doit composer depuis maintenant un an avec le gel du programme de l’institution, après qu’un audit a révélé un décalage de taille entre la dette sénégalaise et les données transmises par l’administration de Macky Sall. Une situation qui freine la reprise des investissements dans le pays, et compromet les efforts déployés par le gouvernement afin de lever des fonds sur les marchés internationaux.
D’un côté, Bassirou Diomaye Faye a érigé ce sujet en priorité, de l’autre, son premier ministre, qui a plusieurs fois fustigé la dépendance du Sénégal à toute forme d’aide occidentale, ne semble pas y accorder la même importance. Lors du dernier remaniement de septembre, le chef du gouvernement a exigé le départ du ministre des finances, Cheikh Diba, qui fait office d’interlocuteur principal du FMI, et a servi, entre 2022 et 2024, comme directeur de la programmation budgétaire sous Macky Sall. Le président y a opposé une fin de non–recevoir, invoquant la maîtrise par Cheikh Diba de ce dossier stratégique.
À Dakar comme à Washington, certains acteurs reprochent à la primature de faire traîner les discussions. Tandis que le gouvernement a sondé une poignée de cabinets de conseil financier afin de l’épauler dans ces tractations avec le FMI, parmi lesquels Parnasse International, la société de l’ancien patron de l’instance Dominique Strauss–Khan (AI du 27/06/25), Ousmane Sonko se montre pour l’heure réticent à confier un mandat à une entité qui ne serait pas africaine.
« Téra–meeting »
Dans le même temps, le premier ministre et ses partisans s’emploient à consolider leur mainmise sur l’appareil d’État, sur lequel le président a de moins en moins de prise. Ousmane Sonko a su placer des personnes de confiance à la tête de la plupart des ministères régaliens, comme à la justice ou à l’intérieur, respectivement dirigés depuis septembre par Yacine Fall et par Mouhamadou Bamba Cissé, l’ancien avocat d’Ousmane Sonko. Son ombre plane aussi sur l’Assemblée nationale, présidée par El Malick Ndiaye, où le parti qu’il continue de diriger, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), détient une écrasante
majorité.
Depuis plusieurs semaines, Ousmane Sonko, qui avait ouvertement reproché, en juillet, à Bassirou Diomaye Faye de manquer d’autorité, se prépare en vue d’un vaste
rassemblement politique qu’il veut sans précédent. Qualifié de « téra–meeting« , comme pour en souligner l’ampleur, l’événement, qui doit permettre de « faire le point sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas« , selon les mots du chef du gouvernement, est prévu à Dakar le 8 novembre.
Pour l’organiser, les équipes d’Ousmane Sonko ont pu compter sur d’importants fonds dits « politiques« . À son arrivée au pouvoir, le patron du Pastef a pris soin de considérablement augmenter cette enveloppe budgétaire discrétionnaire, allouée à la primature pour des activités militantes. Bien que leur montant ne soit pas public, ces ressources sont aujourd’hui estimées à environ 12,2 millions d’euros (8 milliards de francs CFA), pas très loin de celles dévolues à la présidence, qui s’élèveraient à 16,8 millions d’euros (11 milliards de francs CFA).
Jean Moliere .Source :AI

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