Dans le fief d’Henri Konan Bédié, émaillé par les violences en 2020, son parti a toujours la mainmise. Sans candidat pour la présidentielle du 25 octobre, son président Tidjane Thiam étant inéligible, le PDCI parviendra–t–il à convaincre ses militants de suivre ses consignes? Reportage.
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Panneau commémoratif à l’effigie d’Henri Konan Bédié, à Daoukro, en septembre 2025. © Jeanne Le Bihan
Par Jeanne Le Bihan (à Daoukro)
<< L’atmosphère est très lourde, vous ne trouvez pas ?>> Notre interlocuteur ne fait pas référence à la chaleur qui règne en ce début d’après–midi de septembre à Daoukro, dans l’Iffou, au cœur du pays Baoulé, mais au calme presque suspect des rues à trois semaines de l’élection présidentielle, dont le premier tour aura lieu le
25 octobre. Sur la place Henri–Konan–Bédié, haut lieu des rencontres politiques, et à la nuit tombée après d’abondants échanges sur la situation du pays, les bâches qui servent à monter estrade et tentes sont pliées et déposées à même le sol. Elles serviront pour la première fois durant la période de campagne – du 10 au 24 octobre – au lancement de celle d’Henriette Lagou, enfant de Daoukro et l’une des cinq candidates en lice.
À l’exception de la rue principale, lieu des étals du marché et des boutiques, et des écoliers qui viennent de terminer leur semaine, la ville est très silencieuse. L’espace Beniwa, un ensemble de maquis aux tables ombragées et petits commerces, où venir discuter et surtout pas parler politique, comme l’affirme le propriétaire, est flambant neuf. Les grandes avenues qui entourent la place publique, surnommée «<l’espace Cocoda >> par les habitants en référence à un maquis éponyme très fréquenté, sont désertes.
Et en particulier la route qui longe l’imposante résidence d’Henri Konan Bédié, dont l’image demeure omniprésente dans son fief natal. Son épouse Henriette y réside de temps à autre, tout comme quelques parents. L’entrée principale est étroitement surveillée. Décédé il y a deux ans, l’ancien président est inhumé à Pepressou, à quelques kilomètres de là, où sa statue trône près de l’imposant mémorial qui lui est consacré.
Les cicatrices de 2020
Près de la dernière demeure du Sphinx, les blessures de la dernière élection sont encore vives. Appelant à la désobéissance civile et aux manifestations, Henri Konan
Bédié se présentait alors comme le président du «<< conseil national de transition » de l’opposition et appelait au boycott du scrutin. Après l’annonce des résultats, en
novembre 2020, et tandis que la résidence de << HKB » à Abidjan était encerclée par les forces de l’ordre, ses militants répondaient, à Daoukro, à l’appel.
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Trois morts et des dizaines de blessés ont été dénombrés lors de tensions très vives entre supporters du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et soutiens du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), dans cette région depuis
toujours rattachée à l’ancien parti de Félix Houphouët- Boigny. Le vote a d’ailleurs été invalidé dans tout le
département de l’Iffou, comme dans tous ceux environnants. Barrages d’autodéfense, assaillants armés de gourdins ou de machettes, incendies de véhicules et de commerces… C’est dans le centre du pays qu’a jailli l’horreur.
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Ici, les violences ont commencé plusieurs mois avant le
vote, entraînant blessures et évacuations. Entre partisans du RHDP et opposants baoulés, les appels à l’apaisement
ont été vains. Un homme a été brûlé vif. Quant à Toussaint Koffi N’Goran, 34 ans, sa mort a été particulièrement cruelle. La moto de ce jeune partisan du PDCI, père de deux enfants, a été incendiée. Il a ensuite été décapité.
Masqués et armés de battes, ses adversaires se sont ensuite filmés se servant de sa tête comme d’un ballon de football. La vidéo a marqué les esprits. << Décapité pour avoir dit non à un troisième mandat», «< assassiné par les violeurs de Constitution», avaient inscrit ses proches sur des panneaux en carton lors de ses funérailles, en novembre 2020. Depuis, plusieurs initiatives de réconciliation ont été organisées par l’exécutif pour éviter que la situation ne dégénère à nouveau, et créer un espace
de vivre–ensemble. «La famille de Toussaint n’a jamais été dédommagée, regrette pourtant l’un de ses proches, installé sur une terrasse. Les procès, c’était du vent. » Les coupables ont été condamnés fin 2024.
<< On ne veut plus de violences, mais on veut du changement », explique Nina. Tenancière d’un maquis en bord de route, elle arbore un pagne en hommage à la fille
aînée d’Henriette Lagou et de l’ancien ministre Niamien N’Goran, neveu d’Henri Konan Bédié, décédée en 2022. Nina a milité à plusieurs reprises pour l’élection de Lagou, considérée comme une «grande sœur >> par les habitants, aux scrutins législatifs ou locaux. Cette dernière briguait encore en 2021 la députation à Daoukro, où elle a été battue par le candidat du PDCI Olivier Akoto, qui a obtenu 77% des voix.
PDCI RDA
<<< Lagoukro >> ?
C’est pourtant chez elle que l’ancienne ministre de Laurent Gbagbo a décidé d’inaugurer sa campagne. << Ce n’est pas Daoukro, mais Lagoukro», ironise un membre
de son entourage. Henriette Lagou appelle à l’apaisement, dans son fief natal comme ailleurs. « Il faut que certains se rendent compte que ça ne sert à rien d’empêcher ces élections >>, poursuit notre interlocuteur. La candidate du Groupement des partenaires politiques pour la paix mise avant tout sur la concorde. << Il suffit d’un petit rien pour que la Côte d’Ivoire bascule dans une grande crise », met- on en garde dans ses équipes. Lagou espère bénéficier d’un report des voix du PDCI, dont le président, Tidjane Thiam, a été écarté du scrutin. Proche d’Henri et Henriette Konan Bédié, elle propose un programme centriste à la ligne idéologique très similaire à celle du << vieux parti»>, auquel elle a un temps été encartée.
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Un cadre du PDCI balaie pourtant cette possibilité d’un revers de main. «On veut une véritable alternance, affirme–t–il. L’’Iffou est à 90 %, ou plus, partisan du PDCI. Nos militants sont prêts à suivre nos consignes. » Qu’il s’agisse d’un boycott ou d’un appel à voter pour un candidat ? D’après lui, Henriette Lagou n’est en tout cas pas une option. Quant aux peurs de résurgence de conflits interethniques dans le cadre de tensions électorales, il est tout aussi catégorique : « Il n’y a pas de problèmes entre Dioulas et Baoulés. Ça vient d’en haut. En 2020, Henri Konan Bédié était séquestré ! Ces actions attisent la colère. » Le Sphinx n’est plus là pour donner des consignes. <<Aucun homme politique n’a son aura, ni la force de sa parole», regrette un habitant de Daoukro. Mais celle de son parti, enraciné dans la ville, peut suffire.
<< Je voterai pour Henriette Lagou», affirme quant à lui un entrepreneur de Daoukro, parent de la candidate. Mais ce partisan du PDCI, qui justifie son vote par ce lien familial, explique répondre aussi présent si son parti appelait à aller dans la rue. «Trop, c’est trop !» répète–t–il en secouant la tête, en référence au slogan de Laurent Gbagbo. Le PDCI et le parti de l’ancien président, alliés de circonstance dans l’opposition à Alassane Ouattara,
contestent toujours les décisions du Conseil constitutionnel, et ont appelé à une marche pacifique le 11 octobre. La précédente a été interdite par les autorités.
Si cela venait à se reproduire, iront–ils tout de même ?
<< On en a marre. Si on était contre le troisième mandat du président, pourquoi on laisserait le quatrième passer ? Quelles valeurs démocratiques inculque–t–on à nos
enfants ? » conclut notre interlocuteur. Comme les autres préfectures de sous–région, celle de Daoukro a reçu des instructions concernant le dispositif de sécurité électorale. À l’échelle nationale, celui–ci a été renforcé en comparaison à 2020.
<<< On est abandonnés >>
Près du débit de boissons de Nina, des commerçantes préparent le déjeuner. « On est abandonnés à Daoukro, affirme–t–elle, préoccupée. Mes voisins ont déjà commencé à faire des provisions en perspective des élections. On a peur que ça recommence. » Nina espère que la paix règne, mais estime être laissée–pour–compte
par l’exécutif. << Les femmes ouvrent des maquis, les hommes font du banditisme, affirme–t–elle. Il n’y a pas de sociétés pour embaucher, et les routes sont construites à Prikro, où il y a des élus RHDP. Pas ici. » Il faut compter au moins quatre heures depuis Abidjan pour atteindre Daoukro,
après une centaine de kilomètres de bitume abîmé à slalomer entre les trous causés par des camions aux charges trop lourdes.
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rétorque
<< D’importantes politiques de développement et d’investissement ont eu lieu, comme la construction d’un tronçon de 43 kilomètres entre Prikro et Daoukro ! >>
Abdul Awassa, coordinateur de la campagne d’Alassane Ouattara dans l’Iffou. Nommé directeur central national associé, chargé de la jeunesse, ce fervent
militant du RHDP affirme ne craindre aucune concurrence, ni celle d’Henriette Lagou, ni celle du PDCI. Encore moins des scènes de violence similaires à celles des dernières élections. « Le président est actif et présent aux côtés des populations. Il n’y a pas de désordre possible. Nous nous attendons à tout, mais nous faisons
confiance à Alassane Ouattara »>, assure–t–il.
Source JA
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