Si la présidence ivoirienne s’est particulièrement réjouie de la nomination à Matignon de Sébastien Lecornu, avec lequel elle entretient une relation privilégiée, elle s’inquiète néanmoins du profil de l’éventuel prochain ministre des affaires étrangères.
Le premier ministre français, Sébastien Lecornu, et le ministre ivoirien de la défense Tene Birahima Ouattara à Abidjan, le 20 février 2025. Luc Gnago/Reuters
La nomination, le 9 septembre, de Sébastien Lecornu au poste de premier ministre par Emmanuel Macron a été accueillie avec bienveillance à Abidjan. Ancien ministre des armées pendant plus de trois ans, le nouveau chef du gouvernement français est une figure particulièrement appréciée par la présidence d’Alassane Ouattara. Depuis 2022, il jouit d’une relation privilégiée avec le ministre de la défense ivoirien, Téné Birahima Ouattara, frère cadet du chef de l’État.
Les deux hommes se voient régulièrement à Paris, lors des séjours privés de l’Ivoirien dans la capitale française. Ces rencontres, souvent informelles et rarement inscrites à l’agenda officiel, ne se sont pas toujours tenues au cabinet du ministre à l’hôtel de Brienne, mais bien plus fréquemment dans une petite salle du Crillon, un palace du 8e arrondissement.
Téné Birahima Ouattara est, de loin, l’interlocuteur africain le plus proche de Sébastien Lecornu, dont la dernière visite officielle en Côte d’Ivoire remonte au
mois de février dernier. Dans le contexte électoral ivoirien, cette proximité confère au nouveau premier ministre français un rôle précieux, alors que les
relations entre Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ont traversé une zone de turbulences. La perspective d’un quatrième mandat du président ivoirien et l’exclusion de l’opposant et président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam, du scrutin avaient été très mal perçus à l’Élysée, qui plaidait pour une élection « la plus inclusive possible« .
L’inquiétude Darmanin
Si les tensions se sont depuis un peu apaisées après plusieurs échanges directs entre Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, tout au long de 2024 et 2025, Sébastien Lecornu a joué un rôle discret mais décisif dans le suivi de la relation bilatérale. À plusieurs reprises, il a assuré à Téné Birahima Ouattara que « Tidjane Thiam n’est pas soutenu par Paris« , contribuant ainsi à rassurer le premier cercle du président ivoirien et à faciliter les échanges entre Abidjan et l’Élysée.
Si l’arrivée de Sébastien Lecornu a été bien accueillie à Abidjan, le premier cercle d’Alassane Ouattara observe avec plus de fébrilité l’éventuelle nomination du futur ministre français des affaires étrangères. Parmi les noms qui circulent, celui du garde des sceaux démissionnaire, Gérald Darmanin, revient avec
insistance.
Depuis plusieurs mois, la présidence ivoirienne s’inquiète de la proximité entre l’ancien maire de Tourcoing (Nord) et Tidjane Thiam, président du PDCI. Les deux hommes entretiennent une relation suivie. Ils se sont rencontrés discrètement en avril à Paris, lors d’un rendez–vous privé que le cabinet du garde des sceaux n’a pas souhaité commenter.
Aux yeux d’Abidjan, la proximité entre les deux hommes est étayée par le choix de Tidjane Thiam de confier sa défense à l’avocat français Mathias Chichportich, chargé de mener à la fois la bataille judiciaire et la bataille médiatique contre son exclusion de l’élection présidentielle. Ce dernier est aussi l’avocat personnel de Gérald Darmanin, depuis 2017. Il l’a représenté dans le dossier des accusations de viol, clos par un non–lieu confirmé par la Cour de cassation en février 2024.
Une arrivée de Gérald Darmanin au Quai d’Orsay serait donc observée avec scepticisme à la présidence ivoirienne, même si Abidjan conserve ses propres canaux avec le ministre français, reçu par Alassane Ouattara en 2022 à Abidjan.
Consultations avec Nicolas Sarkozy
Très attentif à son image dans l’Hexagone, où il se rend environ tous les deux mois, Alassane Ouattara reste l’un des derniers chefs d’État africains à suivre d’aussi près la vie politique française. Au lendemain de la dissolution annoncée par Emmanuel Macron, le 9 juin 2024, le président ivoirien avait demandé à être informé presque quotidiennement de l’évolution de la situation et avait appelé lui–même son homologue français dans la soirée pour lui exprimer son soutien. Alassane Ouattara s’était alors montré très préoccupé par la perspective d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement national (RN).
Pour décrypter la scène politique française, le chef de l’État ivoirien s’appuie régulièrement sur son ami de longue date Nicolas Sarkozy, qu’il connaît depuis plus de trente ans et qu’il a à nouveau rencontré au mois d’août. Les deux hommes avaient aussi multiplié les échanges dans le sillage de l’annonce de la dissolution. L’ancien président français avait largement mis en avant son rôle auprès d’Emmanuel Macron, qu’il assurait alors conseiller étroitement.
Lors d’une rencontre à Paris en octobre 2024, Nicolas Sarkozy avait ainsi affirmé à Alassane Ouattara qu’il était à l’origine de la nomination de Michel Barnier (Les Républicains) à Matignon, et qu’il avait également suggéré le nom de Xavier Bertrand. Michel Barnier avait toutefois dû démissionner dès décembre 2024, après seulement trois mois à la tête du gouvernement.
AI
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