17 octobre 2025
Paris - France
POLITIQUE

Côte d’Ivoire : à Moossou, Simone Ehivet Gbagbo, reine sans couronne 

Former First Lady of Ivory Coast Simone Ehivet Gbagbo (C), President of the Movement of Capable Generations (« Mouvement des Generations Capables », MGC), receives the flag of her party after her investiture during the extraordinary general assembly of the MGC in Abidjan on August 20, 2022. (Photo by Sia KAMBOU / AFP)

Certes, l’ancienne première dame, candidate à l’élection présidentielle d’octobre, gère les activités de son parti et sa précampagne depuis sa résidence d’Abidjan. Mais elle n’a pas oublié son village natal de GrandBassam, depuis lequel elle avait dévoilé ses ambitions en décembre 2024.

En ce dimanche après-midi de juillet, l’église brun et blanc est remplie jusqu’à la pelouse de fidèles, mains vers le ciel. << Le Seigneur fit pour moi des merveilles >>, peut- on lire dans la cour animée de la paroisse où, dit-on, la statue de la Vierge Marie pleura des larmes de sang en 2012 après la messe dominicale. Des commerçants ont disposé sur des tables boissons et victuailles pour les croyants, dont beaucoup ont fait le déplacement pour assister à l’office.

SaintAntoinedePadoue de Moossou est situé à quelques mètres de l’autoroute internationale, qui traverse le sud de la Côte d’Ivoire pour s’enfoncer le long du littoral du golfe de Guinée. Si ce n’est pas le cas aujourd’hui, le lieu de culte accueille occasionnellement une invitée un peu particulière: l’ancienne première dame, Simone Ehivet Gbagbo. La présidente du Mouvement des générations capables (MGC) est née en juin 1949, dans ce village situé dans la commune de la première capitale du pays, GrandBassam

Élevée dans le catholicisme, elle devient une fervente protestante après avoir réchappé d’un accident de voiture avec son époux d’alors, Laurent Gbagbo, en 1992. Les meetings de son parti sont ponctués de prêches dont ses soutiens récitent en choeur les paroles, tout comme elle

du bout des lèvres. La militante, amnistiée en août 2018 

après sept ans passés derrière les barreaux, fréquente assidûment le temple de la Miséricorde de la communauté La Majestueuse dans la Riviera Palmeraie, près de sa résidence abidjanaise. Mais elle n’a pas pour autant perdu le lien avec son village natal paternel sa mère, elle, est originaire de Bonoua. Lorsqu’elle est amnistiée, ses proches à Moossou sont en liesse

DIOCESE DE GRANDBASSAM  PAROISSE SAINT ANTOINE DE PADOUR DE MOOSSOU 

Quelques jours après, Simone Ehivet Gbagbo est de retour chez elle. << L’éternel agit au travers des hommes, c’est pour cela que vous me permettrez de remercier le président Alassane Ouattara, pour avoir ouvert les portes de nos prisons», déclaraitelle dans un discours à la portée symbolique forte. Du reste, Moossou, village le nom de Gbagbo est immédiatement associé à Simone et non à Laurent, est une citadelle de popularité pour la candidate à l’élection présidentielle d’octobre

Demeure écorchée vive 

La messe est finie, et les fidèles venus du sud de Grand- Bassam ou d’Abidjan regagnent les autobus qui doivent les reconduire chez eux. Si la rue principale se vide dans la chaleur de l’aprèsmidi, les rives de la lagune et les maquis du quartier OBV (orange, blanc, vert, des couleurs du drapeau ivoirien) sont plus propices à la discussion. C’est de l’autre côté de la route internationale que, dans les dédales de Moossou, se dresse l’imposante bâtisse qui a vu grandir Simone Ehivet Gbagbo et ses nombreux frères et sœurs

On demande l’adresse exacte à une commerçante, qui vend des rafraîchissements. « La première dame n’habite pas , c’est plus loin », répondelle. << Venez, je vous emmène chez son père », répond un passant en entendant notre conversation. Pas question de s’arrêter devant la villa paternelle aux allures d’immeuble, où vivent toujours certains des frères de la présidente du MGC, dans les studios aménagés pour chacun par Jean Ehivet, gendarme et notable de Moossou, aujourd’hui décédé

Enfant, Simone Ehivet Gbagbo étudie à l’école primaire de Moossou et joue un rôle de tutrice pour ses cadets avant de quitter son village natal à la fin de son adolescence. La suite est bien connue. Militante d’abordelle mène sa première grève à 17 ans ; frondeuse, l’activiste agit sous le couvert du pseudo << Dominique >> et monte dans la clandestinité des actions nationalistes, avant de fonder avec Laurent Gbagbo et d’autres, en 1982l’embryon du futur Front patriotique ivoirien (FPI)

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Elle se rend régulièrement sur ses terres natales pour souffler, mais aussi pour travailler. La résidence qu’elle fait construire sur un terrain familial est située dans le 

nouveau quartier de Moossou, à 2 km des commerces et du centre animé de la commune. Au bout de l’allée en terre, le portail est fermé, mais il suffit de le pousser pour découvrir la vaste parcelle. Un pasteur évangélique, responsable des célébrations organisées ici, vit avec sa famille. Son linge sèche au soleil

Un gardien réside aussi sur place, mais les visiteurs doivent se référer à la famille Ehivet, et à l’un des petits frères de la propriétaire des lieux. Confortable, cette villa cossue a été dépouillée de ses artifices il y a maintenant bien longtemps. L’arrestation des époux Gbagbo, le 11 avril 2011, au terme de longs mois de crise postélectorale, ne met pas immédiatement fin aux violences et aux pillages. La résidence de Simone Ehivet Gbagbo, qui surplombe la lagune, en conserve aujourd’hui les stigmates. Tout le mobilier a été arraché, des latrines aux robinets. La demeure est écorchée vive

Les murs ont été déshabillés, les interrupteurs arrachés, les câbles électriques emportés. Les entrées, dépourvues de portes, sont recouvertes par des cartons qui font mine de bloquer le passage

<<< On ne voulait plus voir Laurent >> 

Ses soutiens la décrivent comme une femme «puissante »>, dont la présence jusqu’auboutiste aux côtés de son mari a prouvé sa loyauté sans bornes, et comme une militante de la première heure dont les combats n’ont pas bougé d’un cil depuis son arrivée en politique. <«<Laurent Gbagbo a commis deux erreurs, estime l’un de ses partisans à Moossou. La première, c’est d’avoir autorisé Alassane Ouattara à se présenter à l’élection présidentielle [de 2010]. La seconde, c’est d’avoir manqué de respect à son épouse.» 

Ni leur divorce ni leur désamour apparent et houleux des dernières années ne sont abordés en public par les deux exépoux. Mais leur électorat s’est aussi scindé autour de cette question. Sur l’une des façades délavées de la résidence, on peut encore distinguer les contours d’affiches du FPI. Sur l’un des panneaux, le logo du parti est surmonté de la silhouette de l’ancien président, les poings levés, et le slogan << Libérez Laurent Gbagbo » est écrit des centaines de fois sur fond blanc. Mais la partie centrale a été arrachée, comme pour en décapiter la symbolique. << On ne voulait plus voir Laurent », résume un soutien du MGC. À Moossou, la rupture est consommée

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Des projets de réhabilitation de la résidence de Simone 

Ehivet Gbagbo ont été envisagés, mais pour l’heure, rien n’a abouti. Elle a d’autres préoccupations en tête. Elle reçoit au siège de son parti ou à sa résidence, dans les quartiers chics de Cocody. Mais, pour la première convention du MGC, à Moossou, en 2024, « le jardin était plein à craquer »>, raconte l’un de nos interlocuteurs. Le 30 novembre de cette année, plus de 6000 cadres et des militants étaient donc attendus à une petite heure de route d’Abidjan, dans sa résidence

La résidence de Simone Ehivet Gbagbo, à Moossou, a été pillée en 1992. Il n’en reste que les murs.

Pour l’occasion, quelques ampoules avaient été fixées au faux plafond, une toilette restaurée, et une table de réunion avec quelques chaises placées dans l’ancienne salle à manger. La piscine, laissée à l’abandon, avait été recouverte de planches et la terrasse faisait office d’estrade. L’une des anciennes salles de réunion avait 

retrouvé son usage d’antan, et on distingue, sur le mur, le plan d’action du MGC sur l’année 2025 rédigé au crayon à papier. Le tableau des «< forces » et des << faiblesses >> a depuis été effacé, recouvert par un calendrier << en 13 actions >>. Mobiliser la jeunesse, disposer d’un réseau efficace de scrutateurs pour l’élection, faire du porteà- porte dans des régions cibléesL’année électorale était passée au crible

Entourée de ses fidèles et de ses alliés à l’instar de Charles Blé Goudé, assis à sa droite –, Simone Ehivet Gbagbo annonçait officiellement sa candidature à l’élection présidentielle de 2025. Avec trois piliers: réconciliation nationale, transformation et souveraineté 

de la Côte d’Ivoire. Proche de ses racines et loin de son compagnon de route, c’est depuis Moossou qu’elle concrétise son ambition de mener sa barque en solitaire

souhaitant briser l’image de «< dame de fer » qui lui colle à la peau

Bataille avec le RHDP 

Elle était d’ailleurs mise à l’honneur lors de la fête de la génération du quartier Koumassi au mois de juin, situé en face de l’église. La paroisse est ceinturée d’une grande fresque de paysages bleu et blanc. La cour royale de Moossou jouxte l’espace de fête, et les hautes statues de bronze qui s’y trouvent dominent la vue. Le royaume est en proie à un conflit générationnel depuis deux ans, qui oppose le roi Nanan Kanga Assoumou au pouvoir depuis 1991 à un groupe de jeunes. Au cœur du 

problème, un litige foncier qui a abouti, en juillet 2023, à une tentative de coup d’État

Tandis que le souverain assistait à une messe, ses opposants, l’accusant d’avoir spolié leurs terres, se sont introduits dans l’église durant la cérémonie et lui ont ôté sa chaussure, symbole de destitution chez les Akans lagunaires. L’affaire est remontée jusqu’au préfet, et jusqu’à de hauts cadres de la majorité présidentielle. Tandis que les ultimatums se multiplient pour finaliser la destitution du roi contesté et qu’un régent est nommé, Nanan Kanga Assoumou déclare le putsch invalide et continue de représenter les Abourés lors de manifestations officielles

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Un avis partagé par ses alliés, notamment au gouvernement. De passage à Moossou, fin décembre 2023, le ministre de l’Agriculture, Kobenan Kouassi Adjoumani, a ainsi affiché publiquement son soutien à Nanan Kanga Assoumou, rappelant son rôle dans le maintien de la paix lors du dernier scrutin présidentieltandis que l’on prête à Simone d’appuyer les putschistes. Si ce conflit a fait les gros titres en Côte d’Ivoire, c’est aussi que le village de Moossou, situé à l’embouchure de la Comoé, reflète à l’aune de l’élection présidentielle l’opposition entre le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), du président Ouattara, et l’une de ses principales détractrices

Source :JA

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