Alors qu’il est de plus en plus seul à demander le retour au pouvoir du président Bazoum, le chef de l’Etat a dénoncé la couardise des Européens et des Américains
Les faits – Devant les ambassadeurs français réunis à l’Elysée, Emmanuel Macron a vigoureusement défendu, lundi, sa fermeté à l’égard des putschistes du Niger et les interventions militaires au Sahel. « Si la France n’était pas intervenue, si nos militaires
n’étaient pas tombés au champ d’honneur, si les opérations Serval, puis Barkhane, n’avaient pas été décidées, nous ne parlerions aujourd’hui ni de Mali, ni de Burkina Faso, ni de Niger », a–t–il assuré.
De mémoire de diplomate, jamais Emmanuel Macron n’avait prononcé des propos d’une telle virulence à l’attention de ses alliés. Lundi matin, lors de son traditionnel discours de
rentrée de politique étrangère, le président français a poussé un véritable coup de gueule
contre ses partenaires européens et surtout américain.
L’objet de son courroux : le manque d’engagement de ces derniers pour restaurer l’ordre
constitutionnel au Niger et rétablir le président Bazoum dans ses fonctions. Las des critiques adressées à la France, partisan d’une ligne dure à l’égard des putschistes, il leur a tout bonnement reproché leur couardise.
<< De Washington aux capitales européennes, j’ai entendu des voix, journaux, tribunes qui expliquaient de ne pas faire en trop, que ça devenait dangereux, a regretté le chef de l’Etat.
On a dit que la France était trop engagée en soutien au président Bazoum… Mais on ferait quoi si un coup d’Etat comme ça se déroulait en Bulgarie ou en Roumanie? On a un homme intègre, démocratiquement élu, courageux, car il ne démissionne pas au péril de sa vie et de celle de sa famille, et on nous explique que la bonne politique serait de le lâcher? >>
Isolé. Ce coup de colère ne doit rien au hasard. Emmanuel Macron est de plus en plus isolé dans son combat pour le retour au pouvoir du président Bazoum. S’il peut compter sur la détermination de ses homologues Macky Sall (Sénégal), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) ou Patrice Talon (Bénin), Joe Biden ne manifeste pas un grand intérêt pour ce dossier.
Les Américains veulent sauver leur base militaire (1000 soldats) dans le pays, qui sert à observer le Sahel. Ils sont prêts à sacrifier le président Bazoum. Une déception alors que le président américain promeut pourtant une alliance mondiale des démocraties depuis son arrivée au pouvoir.
Dans un article récent intitulé « Time’s up for France in Africa » (Le temps est venu pour la France en Afrique), le chercheur à l’Atlantic Council, Michael Shurkin, écrit l’oraison funèbre de la France en Afrique. Il y explique que la seule présence tricolore devient insupportable pour les populations. Cet ancien analyste de la CIA recommande à la France de plier bagage, n’ayant plus vraiment d’intérêts à défendre.
« Les Suédois, les Allemands et les Italiens sont contre la France. Certains se réjouissent même de ses déboires
» Ce n’est pas la première fois que les Américains s’attaquent à l’influence française en Afrique. Bill Clinton, après le génocide rwandais, avait cherché à repositionner son pays en Afrique de l’Est et du centre.
Mais pour Emmanuel Macron, le plus douloureux est certainement le lâchage européen. Ses pairs de la communauté contestent la ligne française, comme ce fut le cas récemment lors d’une réunion du Comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union européenne. << Les Suédois, les Allemands et les Italiens sont contre la France, confie un diplomate européen. Certains se réjouissent même de ses déboires (schadenfreude en allemand). »
L’Allemagne a besoin du Niger comme base arrière logistique pour achever le retrait de ses troupes du Mali, environ un millier d’hommes. Promotrice d’un discours anti–français en Afrique lorsqu’elle était dans l’opposition, la présidente du Conseil italien, Georgia Meloni, est surtout préoccupée par le contrôle des routes migratoires d’Afrique vers l’Europe. Son
pays coopère étroitement sur le sujet avec le Niger, pays carrefour pour les migrants à destination de la communauté.
Niger: la junte tape sur la France mais ménage les Américains Amertume. Emmanuel Macron développe une profonde amertume. Son coup de gueule vise aussi à faire porter le fardeau de la realpolitik à ses alliés tandis que Paris travaille à
décrédibiliser les putschistes à leurs yeux aux moyens d’outils de lutte informationnelle.
Les Européens ne sont pas les seuls à avoir lâché Paris sur ce dossier. Le Tchad, partenaire historique sur le plan militaire au Sahel, joue contre la France afin de sécuriser ses intérêts sécuritaires et économiques. Le Togo, autre pays allié, parle aux putschistes et prône une transition à la malienne.
Même le nouveau président du Nigeria, Bola Tinubu, qui brandissait la menace d’une intervention militaire, ne semble plus très allant. Il a fait beaucoup de tapage, mais n’a pas vraiment envie d’enclencher une opération qui repose principalement sur son armée et à l’encontre de laquelle ses officiers, chefs religieux et autorités traditionnelles manifestent publiquement leur opposition.
(( Tout dépendra de l’évolution de la situation politique. Nous ne voulons pas collaborer avec des putschistes. Nous avons vu que cela n’avait pas marché au Mali et au Burkina Faso. Il va donc bien falloir réfléchir à notre départ
» En 2013, la France avait su convaincre ses partenaires africains et européens de s’engager à ses côtés pour repousser les groupes jihadistes et indépendantistes à l’extrême nord du Mali puis s’engager dans la lutte antiterroriste au Sahel. Aujourd’hui, chacun semble jouer sa carte personnelle. Et la France se retrouve esseulée.
Visiblement très irrité, le président français a défendu les opérations Serval et Barkhane sans lesquelles le Mali, le Burkina et le Niger seraient, selon lui, aux mains des terroristes. Il a aussi fustigé « l’alliance baroque des prétendus panafricains avec les néo–impérialistes »,
qui répandent une propagande antifrançaise. << On vit chez les fous! », s’est–il emporté.
Le RN cherche à renouveler sa doctrine sur l’Afrique
Le sentiment antifrançais semble toutefois bien plus profond que tente de le minimiser le chef de l’État même s’il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation populaire de la junte.
Désillusions. En tout cas, le président français semble garder espoir. Il continue à prendre régulièrement des nouvelles de son homologue nigérien retenu en otage à Niamey. Il a aussi salué le courage de l’ambassadeur de France à Niamey, Sylvain Itté, à qui il a demandé de rester en poste. Pour combien de temps alors que la junte lui avait fixé un ultimatum jusqu’à dimanche soir pour quitter le pays?
On voit mal comment la France va pouvoir maintenir un dispositif diplomatique et ses soldats sur place si l’intervention de la Cédéao n’est pas déclenchée. La junte accroît sa pression. Elle a demandé le départ des 1500 soldats français, développe un narratif contre l’ex–puissance coloniale, a renforcé la sécurité devant la résidence de l’ambassadeur et menace de couper l’eau et l’électricité à la chancellerie.
Il fallait fermer les bases militaires dès l’année dernière, comme le suggérait Franck Paris (l’ex–conseiller Afrique de Macron) afin de ne plus donner prise à tous ceux, activistes et puissances étrangères, qui nous accusent de néocolonialisme << Tout dépendra de l’évolution de la situation politique, reconnait un diplomate français.
Nous ne voulons pas collaborer avec des putschistes. Nous avons vu que cela n’avait pas marché au Mali et au Burkina Faso. Il va donc bien falloir réfléchir à notre départ ». Les troupes françaises avaient déjà dû quitter le Niger en 1974. A l’époque, le lieutenant- colonel Seyni Kountché avait destitué le président Hamani Diori, allié de la France.
» Les désillusions sahéliennes de Macron ont donné des arguments à l’opposition française.
Dans une tribune au Monde, Jean–Luc Mélenchon et d’autres députés LFI–Nupes ont récemment souligné les coups de menton du chef de l’Etat et l’impasse de sa stratégie militaire. Ils demandent un débat parlementaire pour redéfinir la politique de la France. Sur X (ex–Twitter), Gilbert Collard a aussi reproché « l’attitude belliciste de Macron qui refuse d’évacuer l’ambassade de France malgré l’ultimatum du pouvoir en place (qui) met en danger l’ensemble de nos ressortissants dans la région! ».
Parmi le personnel diplomatique, certains ont aussi du mal à comprendre l’obstination du président français, assurant que l’affaire (du coup d’Etat) est pliée. D’autres font déjà des lapsus en parlant de << transition politique ». « Il fallait fermer les bases militaires dès l’année dernière, comme le suggérait Franck Paris (l’ex–conseiller Afrique de Macron) afin de ne plus donner prise à tous ceux, activistes et puissances étrangères, qui nous accusent de néocolonialisme », conclut un député influent.
JM source: JA