B urna Boy a commencé la musique à l’âge de 10 ans sur FL Studio, un logiciel que lui avait installé un copain d’école sur son ordinateur. Vingt ans plus tard, l’icône de l’afropop nigérian se prépare pour les Grammy Awards. Pour cette nouvelle cérémonie qui se déroulera dimanche, l’artiste nigérian aux 6 millions d’abonnés Instagram part favori dans la catégorie de meilleur album de « musique du monde » pour Twice as Tall , face au groupe touareg malien Tinariwen ou encore au groupe d’afrobeat originaire de Brooklyn, Antibalas. C’est la deuxième nomination, pour la deuxième année d’affilée, pour le chanteur devenu l’artiste africain le plus écouté sur Spotify avec plus de 14 millions d’auditeurs chaque mois.
Débuts : de Port-Harcourt à Londres
Damini Ebunoluwa Ogulu, de son vrai nom, est né à Port-Harcourt, dans la région pétrolière du sud du Nigeria , où il a passé toute son enfance avant de partir pour l’Angleterre pour faire ses études à Brixton, un quartier du sud de Londres, connu pour être le bastion de la musique jamaïcaine. Après deux années seulement, en 2013, il abandonne l’université et rentre au Nigeria pour sortir son premier album, LIFE , dont l’acronyme anglais signifie : « Laisser un impact pour l’éternité » (« Leaving an Impact For Eternity »). À cette époque l’artiste est plus connu à cause de ses frasques, ses arrestations. Les critiques nigérians ne sont pas convaincus non plus, on lui prédit une très courte carrière.
Burna Boy, « Tonight »
Mama Burna, celle qui veille
Mais c’était sans compter sur la présence bienveillante de sa famille et surtout sa mère et manageuse, Bose Ogulu, surnommée Mama Burna, au Nigeria. Elle est reconnue pour être une femme de fer, traductrice, elle parle plusieurs langues, et a tout quitté dans les années 1970 pour accompagner un certain Fela Kuti. Un choix loin d’être anodin, le grand-père de Burna Boy, critique musical, Benson Idonije était également autrefois le manager de Fela Kuti. Aujourd’hui, la famille compte aussi une autre artiste : Nissi Nation, la sœur cadette.
« Odogwu »
Fela Kuti, l’inspiration de Burna Boy
De Fela, Burna Boy a hérité sa colère, sa fierté inégalée, et comme lui, il a toujours refusé de se taire. Même assis dans ses innombrables voitures de luxe et vêtu ses vêtements de haute couture. Le gamin de Port-Harcourt n’avait que six ans lorsque le père de l’afrobeat est décédé. « Fela Kuti est un modèle pour moi, mais toutes les légendes africaines en sont. Thomas Sankara , Patrice Lumumba… Le chanteur et opposant politique ougandais Bobi Wine m’inspire aussi », confiait-il à Libération . « Il est obsédé par Fela », observe Dami Ajayi. « Il suit ses traces de très près. »
« Yé »de Burna Boy
Et « Sorrow, Tears and Blood » de Fela Kuti
Vous avez dit afro-fusion ?
« L’afro-fusion », c’est ainsi que Burna boy définit sa musique loin des clichés que renferme la catégorie Afrobeat dans laquelle finalement ont été enfermés bien d’artistes d’Afrique de l’Ouest, du Nigeria au Ghana , et sans aucune nuance. La preuve : le Nigérian mix parfaitement dancehall, reggae et hip-hop, styles et langues : il passe de l’anglais au yoruba, ou le pidgin, collabore avec des artistes aussi variés que l’Anglaise Lily Allen, l’Américaine Beyonce, Chris Martin, ou Angelique Kidjo. Le tout sans jamais diluer son héritage africain à travers une signature reconnaissable avec le saxophone, ou le gbedu, percussion yoruba. Ses deux albums, Redemption en 2015 et Outside en 2018 ont été des immenses succès au Nigeria, en Afrique et au sein de la diaspora, notamment « Ye », que ses fans considèrent presque comme « le nouvel hymne national » du pays.
Sa vidéo, où Burna Boy montre fièrement ses dents serties de diamants, ses énormes joints de cannabis, et ses pectoraux travaillés, enregistre 129 millions de vues sur YouTube. « Il assume désormais son style », note Dami Ajayi. « C’est un style unique, tranchant, vraiment incontournable. C’est indéniablement le meilleur de la musique contemporaine africaine en ce moment. »
Son album African Giant , sorti en 2019, l’a propulsé aux sommets et lui a surtout ouvert les portes à l’international avec sa première nomination aux Grammy Awards, une victoire aux MTV Europe Music Awards, et plus que tout : une mention particulière dans la playlist de Barack Obama.
African Giant , ainsi que son dernier album Twice as Tall (« Deux fois plus grand », en français), marquent également un tournant dans l’engagement social et politique de l’artiste, qui affirme de plus en plus ses critiques envers le pouvoir et la mauvaise gouvernance, dans la droite lignée de son idole, Fela Kuti. « Je voulais que les gens comprennent que Dangote n’a rien d’un héros. C’est l’homme le plus riche d’Afrique et il continue de se lever tous les matins pour aller au boulot. Nous autres ne devrions pas nous trouver des excuses. Tout le monde parle du Nigéria comme si c’était une niche d’hyper riches. Au final, ça reste un pays en voie de développement. Avec ma musique, je veux mettre en lumière les choses qui doivent bouger », a-t-il expliqué à Libération à propos du titre « Dangote », l’un de ses plus grands succès.
« On the Low »
Militant
En 2019, au plus fort des attaques xénophobes contre les Nigérians et autres immigrés africains en Afrique du Sud, il a menacé de ne plus jamais remettre les pieds là-bas, à moins que le gouvernement sud-africain n’agisse.
Et lors des manifestations #EndSARS de la jeunesse nigériane en octobre dernier, il a acheté d’immenses encarts publicitaires lumineux à travers Lagos, la capitale économique, pour dénoncer les violences policières.
Il avait également lancé un fonds de secours pour les victimes et publié une chanson honorant les victimes des manifestations. « Nous sommes la nouvelle génération, nous ne nous tairons jamais, nous ne nous fatiguerons jamais », a-t-il déclaré, le poing levé, dans un rassemblement de la diaspora organisé à Londres. « Tant que nous n’aurons pas de justice, ils n’auront pas de paix. »
« Onyeka »
Mégalo
Peu modeste depuis ses débuts, celui qui se revendique comme le fils spirituel du Black President avait vu juste. « J’ai pris chaque marche de l’escalier pour arriver là où je suis aujourd’hui, pendant que les autres, eux, prenaient l’ascenseur », confiait-il dans une interview du magazine GQ en mars 2020. » « De toute façon, je suis un poids lourd moi. Je ne serais pas rentré dans l’ascenseur. Et maintenant, je connais tous les étages », poursuivait le jeune homme de 29 ans au moment de la sortie de son quatrième album.
Et lorsque le festival de musique de Coachella, en Californie, qui l’avait programmé en 2019, a inscrit son nom en bas de l’affiche, « le géant de l’Afrique » a menacé d’annuler sa venue, si la police de caractères de son nom n’était pas agrandie.
« Pull Up »
Grammy
En 2019, son album African Giant avait perdu face à la Béninoise Angélique Kidjo, déclenchant les foudres de ses fans à travers le continent. « Cette année est très spéciale pour lui », explique Dami Ajayi, critique musical nigérian basé à Londres. « Son plan était d’être à nouveau nominé aux Grammy », affirme le spécialiste, notamment en collaborant avec l’Américain P. Diddy pour la production de son nouvel album, ou encore avec la star de la World Music Youssou N’Dour.
« Level Up » feat Youssou N’Dour