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Mali : Oumou Sangaré rend hommage à « Timbuktu »

Avec ce 12e album à paraître le 29 avril, la diva malienne a choisi le blues pour chanter la nostalgie d’un pays perdu, qu’elle souhaite retrouver en renouant avec les traditions.

Des slides de guitares, des notes de blues et des riffs électriques viennent napper la voix céleste de la diva malienne. À 54 ans, et plus de trente ans de carrière, Oumou Sangaré réussit encore à surprendre et à se réinventer. Après un tournant électro emprunté en 2017 sur l’album Mogoya, la chanteuse retrouve sa maison de disque historique Word Circuit Records et lorgne cette fois-ci vers le répertoire du sud des États-Unis et des descendants d’esclaves. « Le blues vient d’Afrique, la musique du Wassoulou a voyagé en Amérique avec la traite. C’est notre histoire commune », défend-elle, l’allure fière dans sa robe en basin dorée, le visage auréolé d’un afro dissimulant d’imposantes créoles en or.

Oumou Sangaré, artiste et femme d’affaires – propriétaire de l’hôtel Wassulu à Bamako et d’une marque de riz qui porte son nom -, entretient son image de femme puissante. Malgré une reconnaissance internationale, elle n’a jamais quitté son pays ni ses racines mandingues. C’est pourtant à Baltimore, à des milliers de kilomètres de sa maison implantée le long du fleuve Niger et de sa ferme de 10 hectares dans laquelle elle aime entretenir ses orangers, bichonner ses poules et s’atteler à la pisciculture, qu’elle a composé et enregistré ce nouvel opus en mars 2020, alors que le monde est sous cloche en raison de la pandémie de Covid19.

MALIENS, OÙ EST PARTIE NOTRE GRANDEUR HISTORIQUE ?

« Je suis sur la route depuis plus de trente ans. Après une série de concerts, j’ai ressenti le besoin de faire un break aux États-Unis, d’abord à New-York », se remémore-t-elle. La star reste coincée à Big Apple deux semaines en raison de la fermeture des frontières mais la ville ne l’inspire pas. Elle rejoint alors le Maryland, achète une maison à Baltimore et s’y installe sept mois. « Oumou Sangaré, deux mois sans rien faire, c’était impossible. Je devais écrire et composer ». Elle fait appel à son complice de la première heure, le joueur de n’goni Mamadou Sidibé installé à Los Angeles, et travaille avec lui dix nouveaux morceaux.

Grandeur historique

Cet exil plus ou moins contraint lui permet de prendre de la hauteur face aux crises politique et sécuritaire que traverse son pays. Et d’accoucher de Timbuktu, un 12e opus qui ne porte pas ce nom par hasard. « La ville des 333 saints, rappelle la chanteuse sur le morceau éponyme. Maliens, où est partie notre grandeur historique ? Où est notre réputation de pays de paix, de savoir, d’entente et de cordialité ? », s’interroge-t-elle. Oumou Sangaré ne cache pas son inquiétude. Le visage, lumineux quelques minutes plus tôt, se durcit. « J’ai l’impression que l’on s’éloigne de nos traditions. On ne sait plus qui on est, on se concentre sur la culture des autres ».

SON FESTIVAL, FIWA, QUI SE TIENT À YANFOLILA DEPUIS 2019 EST PASSÉ DE 120 VISITEURS À QUELQUE 300 000 FESTIVALIERS EN CINQ ÉDITIONS

Mais l’artiste voit dans le terroir et le patrimoine culturel maliens un salut certain. Preuve avec Sabou Dogoné, qui signifie « savoir caché », un morceau issu du répertoire ancestral de la région rurale du Wassoulou, qu’elle a revisité pour l’occasion. « Le texte est resté intact mais j’ai retravaillé la rythmique, plus lentement, comme une balade, pour que l’auditoire puisse comprendre le message, au moins dans le corps, même s’il ne comprend pas la langue », analyse-t-elle.

Admiration et jalousie

Dans Wasulu don (« la culture du Wassoulou »), Oumou Sangaré présente d’ailleurs sa terre d’origine comme une région prospère, en développement. Sans doute parce que l’executive woman y a investi sur le terrain en faisant construire un imposant complexe touristique et culturel d’une quarantaine de bungalows pour accueillir son festival, FIWA, qui se tient à Yanfolila depuis 2019. Une manifestation gratuite, qui est passée de 120 visiteurs à quelque 300 000 festivaliers en cinq éditions, dont elle est très fière. « On est débordés, c’est l’une des plus grandes manifestations musicales du Mali aujourd’hui, assure-t-elle en faisant défiler une série de photos sur son téléphone, dévoilant les cases bordant la piscine. Le village permet de loger les festivaliers, les VIP, les employés et bénévoles, mais il est actif toute l’année », tient-elle à préciser. Le campement accueille les jeunes des alentours, qui peuvent profiter de la première piscine du Wassoulou, région qui compte 337 villages.

Ambassadrice de bonne volonté

Celle qui suscite autant l’admiration que la jalousie – elle le chante et le déplore plusieurs fois dans les morceaux de l’album -, se sent investie d’une responsabilité, celle d’œuvrer à son échelle pour son pays. Mais la tâche est rude. L’ambassadrice de bonne volonté pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO imaginait pouvoir exploiter un terrain de 3000 hectares pour produire du riz local… Un projet resté au stade d’idée depuis 2017. Difficile, même lorsque l’on s’appelle Oumou Sangaré, d’être sur tous les fronts. « Les femmes rurales sont les premières à se lever dans la brousse et les dernières à se coucher. J’attire l’attention des dirigeants pour penser des projets. On essaie d’aider à notre manière avec la FAO, mais c’est maigre par rapport à ce que peut faire le gouvernement. Je ne suis pas une politicienne », rappellera-t-elle à plusieurs reprises.

ON CONTINUE DE VIVRE, IL NE FAUT PAS CROIRE LE CONTRAIRE !

Une chose est sûre, Oumou Sangaré continue de croire en la grandeur de son pays. « Le peuple se réveille en disant non à ces dirigeants corrompus. Le Mali ne va pas disparaître, c’est un pays béni, clame-t-elle. Je ne le quitterai pas. Je mourrai au Mali. Quand ça a chauffé en 2012 déjà, je suis restée. Je me souviens être descendue de l’avion, j’étais seule dans la classe business. Tout le monde avait fui au moment de la prise d’ATT (ndlr : Amadou Toumani Touré), mais moi je suis restée », revendique l’artiste qui vient de présenter ses nouveaux morceaux au public malien sur la scène du FIWA. « On continue de vivre, il ne faut pas croire le contraire ! ». Une tournée européenne commence au printemps avec une escale à Paris, à la Cigale, le 15 mai.

Source : Jeune Afrique

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