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Mali-France : entre Emmanuel Macron et Choguel Maïga, un duel  sans concession 

Accusations dabandon en plein vol dun côté, propos qualifiés de « honteux » de lautre. Rien ne va plus entre le président de la République française et le Premier ministre malien. Un bras de fer tenace aux 

enjeux politiques plus subtils quil ny paraît

Sil est une chose sur laquelle insistent ceux qui le connaissent bien, cest que le Premier ministre malien ne dit jamais rien au hasard. « Choguel Maïga est un homme méthodique, qui ne parle jamais sous le coup de lémotion ou de la réaction. Quand il sexprime, cest murement réfléchi », confie un homme politique malien qui a longtemps cheminé à ses côtés. Un trait de caractère que l‘on nignore pas, dans les couloirs de lÉlysée, loffensive du chef du gouvernement malien a été pour le moins mal perçue. Au point quEmmanuel Macron, après avoir laissé tour à tour répondre ses ministres des Armées et des Affaires étrangères, a répliqué crûment

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Macron monte au front 

Si les tensions nont cessé de monter entre Paris et Bamako ces derniers mois, elles se sont encore élevées dun cran lorsque les soupçons de négociations en cours entre Bamako et Wagner se sont avérés. Cest dabord par lentremise de son chef de la diplomatie, Jean Yves Le Drian, quEmmanuel Macron est monté au front. Le premier ayant brandit la menace dun retrait total des troupes françaises

« Cest absolument inconciliable avec notre présence (...) incompatible avec laction des partenaires sahéliens et internationaux du Mali », a martelé le ministre français des Affaires étrangères le 14 septembre devant la Commission des Affaires étrangères de lAssemblée nationale

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Deux jours plus tard, à Bamako, le Premier ministre malien sest à son tour livré à une critique en règle de la politique de la France au Mali. Choguel Marga recevait ce jourles représentants de plusieurs associations de la société civile. Face à son auditoire, il vilipende le positionnement de la France au Mali

Parmi ses griefs : le retrait annoncé, et amorcé, des troupes françaises de Barkhane, mais aussi l’interdiction supposée daccès de certaines zones du territoire aux moyens aériens de larmée malienne. Le Premier ministre malien 

évoque alors, sans la citer nommément, la société russe Wagner, avec laquelle son gouvernement est en négociation. Et aux critiques formulées par la France sur ce dossier, il pond par une accusation dingérence

LA FRANCE N‘A PAS D’INTÉRÊT CACHÉ AU MALI 

Pour lexécutif français, la sortie est difficile à avaler. Le 24 septembre, Joël Meyer, lambassadeur de France à Bamako, se fend dun courrier dont on imagine chaque virgule validée par Paris. Une missive de « clarification », dans laquelle lambassadeur rappelle au passage qu’il na toujours pas été reçu par le chef du gouvernement malien, malgré une demande daudience qui remonte à plusieurs mois

Linterdiction de survol de certaines zones ? Une « affirmation qui ne correspond pas à la réalité ». Une ingérence de la France dans le choix des partenaires du Mali en matière sécuritaire ? Cest le recours éventuel à « une société privée de mercenaires, déjà coupable dexactions et dactions déstabilisatrices dans de nombreux pays, qui appelle de nombreuses questions ». Et lambassadeur de conclure, dans un phrasé peu diplomatique, que « la France na pas dintérêt caché [au Mali] »

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Mali : le Premier ministre Choguel Marga accuse la France d« abandon » 

Quà cela ne tienne. Le lendemain, Choguel Maïga repart à loffensive. Et cette fois, cest depuis la tribune de lAssemblée générale de lONU qu‘il tire sa plus sévère salve. La France a « abandonné en plein vol » le Mali. Le pays « mis devant le fait accompli » de la fin de lopération Barkhane, na pas dautre choix que « dexplorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec dautres partenaires, de manière à combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le Nord de notre pays »

JE NE PENSE PAS QUE LA FRANCE REMETTE TOUT EN CAUSE POUR CHOGUEL KOKALLA MAĪG

À peine descendu de la tribune, le Premier ministre précise encore un peu plus sa pensée. Il accuse la France de ne pas avoir atteint ses objectifs définis lors du lancement de l‘opération par François Hollande. Pire, Choguel Maïga affirme que la France a réinstallé les ex rebelles du Mouvement national de libération de lAzawad (MNLA) à la tête de Kidal, la grande cité du Nord lÉtat central malien reste absent

Le Premier ministre malien, dont les positions visàvis de la France étaient déjà tranchées lorsqu‘il était parmi les figures de proue du M5 RFP, s’estil lancé dans une croisade contre Paris ? Au sein de la chancellerie française, la question se pose avec acuité. « Je ne pense pas que la France remette tout en cause pour Choguel Kokalla Maïga qui, nous le savons, ne pèse pas grandchose électoralement au Mali et nest finalement pas très représentatif », nuance pourtant une source diplomatique 

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Entretien en têteàtête 

Emmanuel Macron, qui se garde alors dintervenir publiquement, laisse sa ministre des Armées mener la riposte médiatique. Alors que la France compte une 52e perte dans ses rangs au Sahel, avec la mort du caporalchef Maxime Blasco le 24 septembre au Mali, Florence Parly fustige des « contrevérités [...], des déclarations inacceptables [et] indécentes [revenant à] sessuyer les pieds sur le sang des soldats français ». Et dajouter devant le Sénat le 29 septembre : « Si le Mali engage un partenariat avec des mercenaires, le Mali sisolera, il perdra le soutien de la communauté internationale, qui est pourtant très engagée.» 

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Outre la réprimande publique, Emmanuel Macron décide également denvoyer, plus discrètement, un émissaire afin de « faire passer le message de la France » aux autorités maliennes. Lundi 27 septembre dans la soirée, alors quil fait escale à Paris, au surlendemain de son discours à lONU, Choguel Maiga reçoit la visite dans son hôtel de Christophe Bigot, envoyé spécial de la France pour le Sahel. Le « Monsieur Sahel » dEmmanuel Macron a un entretien en têteàtête, le temps dune discussion « brève et courtoise », avec le Premier ministre malien. Trois sujets au centre des échanges : Barkhane, Wagner, et les craintes de la France de voir la transition être prolongée

Le lendemain, sur le tarmac bamakois il vient datterrir, Choguel Maiga adoucit sensiblement le ton. « Le peuple malien reconnaissant na jamais été et ne sera jamais ingrat », déclare le Premier ministre, pourtant accueilli ce jourpar une foule conquise par ses propos offensifs envers la France des jours précédents

Ce (petit) geste dapaisement naura cependant pas calmé la colère du président français. Les propos de Choguel Maïga à la tribune de lOnu sont « une honte » a tonné Emmanuel Macron, le 30 septembre, en marge du dîner de clôture de la saison Africa 2020 à lÉlysée. « Cest inadmissible. Cest une honte et ça déshonore ce qui nest même pas un gouvernement », a martelé le chef de lÉtat au micro de RFI

Stratégies politiques 

Emmanuel Macron na pas hésité à frapper fort, remettant en question la légitimité « démocratiquement nulle » du gouvernement malien, dirigé par un Premier ministre « enfant de deux coups dÉtat ». De ce gouvernement de transition, le président français a même affirmé nattendre « rien », si ce nest quil remette, dans les délais prévus, le pouvoir aux civils

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élections en 2022

Tandis que la perspective délections générales en février 2022 séloigne, le Premier ministre chercheraitil à surfer sur le sentiment « antifrançais » qui prévaut dans une partie de lopinion malienne ? « Choguel Marga, qui a rejoint la transition militaire envers laquelle il sest montré très critique, est en quête dune légitimité. Pour cela, il saligne sur un discours populiste qui se vend très bien sur le continent, notamment parmi la jeunesse » abonde Abdoul Sogodogo, vicedoyen de la faculté de sciences administratives et politiques de Bamako

Calendrier électoral 

Emmanuel Macron en est persuadé, les sorties de Choguel Marga sont à lire dans une perspective de stratégie politique personnelle. Mais au Quai dOrsay, les diplomates relativisent le poids politique du Premier ministre malien. « Choguel Maïga na jamais dépassé les 2% à une élection, et, faute dune réelle idéologie, il veut se présenter comme celui qui dit non aux grandes puissances et soffrir une aura sankariste », tacle un diplomate européen

Sauf que le Premier ministre na, officiellement, pas le droit de se présenter lors de la prochaine présidentielle. Certains en concluent donc quil ne joue aujourdhui que le rôle de fusible pour les autorités de la transition. Son discours à la tribune de lONU ne peut en effet avoir été prononcé sans que le locataire de Koulouba, le colonel Assimi Goïta, nait donné son aval

À ces considérations de politique intérieure malienne viennent sadjoindre celles du président français, pour qui le calendrier électoral ne cesse de saccélérer en vue de la présidentielle de 2022. Emmanuel Macron, dont il ne fait aucun doute quil sera candidat à sa propre succession, sait que l‘intervention militaire française au Sahel est de plus en plus impopulaire. Ses futurs concurrents, quel que soit leur bord politique, manquent dailleurs rarement une occasion de le souligner

JA

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