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L’histoire (vraie) de Yasuké, le samouraï d’origine africaine

L’homme serait né quelque part en Afrique de l’Est au cours de la première moitié du XVIe siècle. Avant d’être emmené comme esclave en Inde, puis au Japon. Ou quand la vie est (parfois) un roman…

On ne connaît même pas le patronyme initial du premier samouraï d’origine étrangère et africaine du Japon. L’homme est passé à la postérité sous son nom nippon, Yasuké. On ignore aussi d’où il vient exactement : certaines sources pensent qu’il est né dans la première moitié du XVIe siècle au Mozambique, d’autres en Ethiopie, au Nigeria ou encore à ce qui correspond aujourd’hui au Soudan du Sud. Il aurait ensuite été capturé par des négriers qui l’auraient emmené à Goa (sud de l’Inde), un territoire alors portugais.

Acheté comme esclave, il devient garde du corps et homme à tout faire d’un jésuite italien, Alessandro Valignano, chargé d’inspecter et de développer les missions de la congrégation en Asie. L’ecclésiastique et son esclave auraient atteint l’archipel nippon vers 1579 : arrivés en l’occurrence  à Arima, près de Nagasaki (sud-est), où les jésuites avaient établi une mission.

La cathédrale Sainte-Catherine, Vieux-Goa, dans l'Etat de Goa (sud-ouest de l'Inde), le 6 février 2020
La cathédrale Sainte-Catherine, Vieux-Goa, dans l’Etat de Goa (sud-ouest de l’Inde), le 6 février 2020 (FTV – Laurent Ribadeau Dumas)

 

Emeute

L’arrivée de l’Africain, très grand, ne passe pas inaperçue dans une population japonaise dont les individus sont alors beaucoup plus petits et qui, en outre, n’a jamais vu de Noirs. Il mesurait « 6 shaku 2 sun (environ 1,88 m) (…) Sa peau était comme du charbon de bois »raconte alors un samouraï, Matsudaira Letada, dans son journal cité par le site français de la BBC.

Vers 1581, Alessandro Valignano conduit Yasuké, qui aurait assimilé très vite la langue ainsi que les us et coutumes nippons, à Kyoto, alors capitale du Japon. Son apparition suscite quasiment une émeute. Les habitants se précipitent pour voir le géant venu d’Afrique. A tel point que certains meurent écrasés dans la bousculade. Des bâtiments se seraient même effondrés ! « L’idée d’exhiber un esclave africain pour en tirer profit et gagner de l’argent (était) courante chez les prêtres jésuites », commente Le Monde… L’événement arrive aux oreilles du maître de Kyoto, un puissant chef de guerre du nom de Oda Nobunaga, resté dans l’Histoire comme l’un des unificateurs de la nation japonaise.

Ce dernier est alors, lui aussi, subjugué par la taille, la couleur de peau et l’intelligence de l’esclave qui s’exprime en japonais. N’en croyant pas ses yeux, le seigneur lui aurait fait « prendre un bain pour vérifier si le noir (était) bien sa couleur naturelle » (Le Monde) ! Selon le Japan Times, il lui aurait juste « frotté la peau » pour essayer de la « nettoyer »

Le jésuite quittant le Japon, Nobunaga garde l’Africain auprès de lui. Nobunaga appréciait la force du colosse (il disait de lui qu’il avait celle de dix hommes !) et aimait son attrait pour la lutte et les arts martiaux. Ce qui a fait dire à certains que Yasuké devait avoir un passé de guerrier dans son continent d’origine. Il se dit aussi que le seigneur nippon appréciait les contes africains et indiens que son nouveau serviteur se plaisait à lui raconter. Dans le même temps, l’intégration de ce dernier au sein d’un monde qui lui était complètement étranger a certainement été facilitée par le fait qu’à la différence des ecclésiastiques européens, il n’était pas là pour convertir les Japonais au christianisme…

Un samouraï et son katana, le fameux sabre de ces guerriers de l’époque féodale au Japon. Estampe de l’artiste Shuntei Katsukawa (1770-1833). (AFP – ANN RONAN PICTURE LIBRARY)

 

Confident du seigneur

Protégé par un puissant seigneur, Yasuké est libéré de sa condition d’esclave. Au départ, celui-ci « était surtout un garde du corps et un page, utilisé pour divertir, impressionner et intimider les visiteurs à la cour de Nobunaga ». Mais peu à peu, il va devenir son confident. Il est même possible que les deux hommes aient eu une relation plus intime, écrit le Japan Times

Son ascension au sein de la société nippone va alors être prodigieuse : en l’espace d’un an, il serait ainsi devenu un samouraï, le premier étranger à jamais recevoir cet honneur au Japon. Un véritable exploit quand on sait que ces guerriers féodaux, à qui étaient accordées les plus grandes récompenses, recevaient une sévère éducation depuis l’enfance. Intime d’Oda Nobunaga, il était invité à sa table. Il s’était vu remettre en cadeau un katana, sabre courbé très affuté symbole des samouraïs. Il aurait même été autorisé à en porter deux ! Suprême honneur : le chef lui confiait sa propre lance, rapporte Slate. Il lui avait également octroyé une maison, des serviteurs et lui aurait même offert sa fille adoptive en mariage.

Incessants combats

Comme membre de la garde rapprochée d’Oda Nobunaga, le guerrier d’origine africaine se tenait aux côtés de son maître lors d’incessants combats. Il se serait notamment illustré en 1582 à la bataille de Tenmokuzan qui permit au chef de guerre d’éliminer un clan rival. Mais par la suite, la chance tourne. Un autre samouraï, Akechi Mitsuhide, prend les armes contre Nobunaga. Acculé lors de la bataille, ce dernier se fait hara-kiri, Yasuké à ses côtés.

Samouraïs au combat, estampe de Shuntei Katsukawa (1770-1833) (AFP – ANN RONAN PICTURE LIBRARY)

 

« Avant de se suicider, il a demandé à son ami de le décapiter et de porter sa tête et son épée à son fils », rapporte la BBC. Là encore, un signe de grande confiance… Le rejeton se serait lui aussi fait hara-kiri devant le guerrier d’origine africaine. Mais de son côté, ce dernier n’aurait pas eu « le courage de s’enfoncer un sabre dans le ventre », croit savoir Le Monde. Arrêté et présenté au vainqueur, il aurait finalement été épargné.

Le samouraï aurait ainsi survécu à la bataille. Par la suite, nul ne sait ce qu’il est devenu. S’il est resté au Japon ou s’il a quitté le pays. Le reste appartient à la légende. Légende diffusée au Japon par de nombreux ouvrages. Notamment un livre pour enfants, Kuro-suke (kuro signifiant noir en japonais), écrit en 1968 par l’écrivain Yoshio Kurusu.

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