ANALYSE. Face aux dérèglements climatiques, la croissance démographique et la vulnérabilité accrue des cultures mettent en péril la sécurité alimentaire dans la région.
Le développement agricole et les systèmes alimentaires des pays d’Afriquesubsaharienne seront inexorablement confrontés à des défis considérables dans les décennies à venir. Alors que la population mondiale devrait passer de 7,7 à 9,7 milliards en 2050, plus de la moitié de la croissance démographique planétaire d’ici à 2050 devrait se produire en Afrique, selon l’ONU.
Face à cette pression, le développement agricole fait déjà face à d’immenses défis, et l’on craint que les changements climatiques ne les aggravent dans les zones vulnérables. Une majorité de la population d’Afrique subsaharienne vit en effet dans des régions rurales, où les revenus et l’emploi dépendent presque entièrement de l’agriculture pluviale
Le secteur agricole emploie entre 65 et 70 % de la main-d’œuvre africaine et représente généralement 30 à 40 % du produit intérieur brut.
De multiples facteurs biophysiques, politiques et socio-économiques se conjuguent pour accroître la vulnérabilité de cette région et risquent d’entraver sa capacité d’adaptation.
Précipitations, sécheresses et désertification
Le climat africain est déterminé par trois phénomènes climatiques critiques qui sont liés entre eux de manière complexe et qui ne sont pas encore entièrement compris. Il s’agit du mouvement de la zone de convergence intertropicale, de l’oscillation australe El Niño et de l’alternance annuelle des moussons. Chacun de ces phénomènes interagit avec l’autre, déterminant les régimes régionaux de température et de précipitations.
À cela s’ajoutent les changements climatiques en cours, qui ont des répercussions sur les précipitations et l’élévation du niveau de la mer, et entraînent une augmentation modérée à extrême de la température mondiale.
« L’Afrique doit revoir son système agricole et alimentaire »
Un quart de la population sous-nourrie
L’un des plus grands défis auxquels nos sociétés sont actuellement confrontées est de fournir en permanence à tous les citoyens des aliments nutritifs tout en préservant l’environnement. Ce problème se pose avec une acuité particulière en Afrique subsaharienne, où l’on estime qu’une personne sur quatre ne dispose toujours pas d’une alimentation suffisante pour mener une vie saine et active.
D’autant plus si l’on tient compte des taux de croissance démographique – les plus élevés au monde – et des modifications des habitudes alimentaires liées à l’urbanisation et à l’essor de la classe moyenne africaine.
crise alimentaire, l’autre menace qui plane sur l’Afrique
Régimes moins carnés et agroécologie
Le défi consiste non seulement à augmenter la production alimentaire, mais aussi à le faire de manière durable, en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre et en préservant la biodiversité.
En effet, la quantité de nourriture disponible pour la consommation humaine est affectée par l’attribution des cultures à d’autres utilisations non alimentaires, telles que l’alimentation animale, la bioénergie et les utilisations industrielles. Au niveau mondial, seulement 67 % de la récolte produite (en masse) ou 55 % des calories produites sont disponibles pour la consommation humaine directe.
Le reste de la récolte a été alloué à l’alimentation animale (24 % en masse) et à d’autres utilisations industrielles, y compris la bioénergie (9 % en masse).
Dans les pays riches, de nombreuses personnes consomment davantage de produits d’origine animale que ce qui est recommandé sur le plan nutritionnel : c’est le cas du modèle alimentaire très carné nord-américain ou argentin.
Or, nous avons besoin de toute urgence de nouvelles alternatives pour relever les défis actuels et futurs auxquels sont confrontés nos systèmes alimentaires. Des réformes seront donc nécessaires, notamment l’évolution vers des régimes moins carnés, ce qui pourrait augmenter la productivité alimentaire des terres cultivées et nourrir plus de personnes par hectare de terre cultivée.
Il est impératif de concevoir des systèmes agricoles résistants face à des chocs de plus en plus fréquents et capables de s’adapter aux nouvelles conditions imposées par ces changements.
Dans ce contexte, l’agroécologie – qui vise à concevoir des systèmes alimentaires impliquant moins de pressions sur l’environnement et un usage plus modéré des ressources naturelles – sera indispensable pour améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition ; en rétablissant et en maintenant les écosystèmes, en offrant des moyens de subsistance durables aux petits exploitants et en renforçant la résilience pour s’adapter aux changements climatiques.
* Sougueh Cheik est docteur en sciences de l’environnement, Institut de recherche pour le développement (IRD).
