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Législatives au Sénégal : la défaite de Macky Sall est aussi stratégique

Si nombre d’analystes ont pointé le revers inédit subi par la majorité présidentielle, peu ont constaté l’échec de la tactique du camp du chef de l’État, basée presque exclusivement sur un éventuel boycott du scrutin par l’opposition.

L’assemblée nationale, Dakar, Sénégal. © Aliou Mbaye/PANAPRESS/MAXPPP

On le sait désormais, les résultats définitifs des élections législatives du 31 juillet au Sénégal, publiés ce 11 août par le Conseil constitutionnel, permettent à la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar d’obtenir 82 députés sur les 165 qui composent l’Assemblée nationale – auxquels s’est rallié l’ancien maire de Dakar Pape Diop. Un ralliement qui porte le nombre des parlementaires du camp présidentiel à 83, contre 80 pour l’inter-coalition Yewwi Askan Wi (YAW) – Wallu Senegal, ce qui est synonyme de la majorité absolue.

Inutile de rappeler que les observateurs de la vie politique sénégalaise ont été unanimes pour dire que c’est une situation inédite, que la mouvance présidentielle a accusé un net recul et que le scrutin marquera, quoi qu’il arrive, l’histoire politique du pays.

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En analysant ces résultats, un leader politique sénégalais a déclaré que « les populations ont privilégié la sanction contre le régime actuel en participant à un référendum de fait sur la question du troisième mandat ». Bien entendu, ses propos ont été balayés d’un revers de la main par les membres de la mouvance présidentielle, qui estiment être restés « la plus grande coalition du pays », même si leur camp a perdu au passage une cinquantaine de députés. Autant dire que ces législatives n’ont pas encore livré tous leurs secrets. D’autant que chaque camp crie à la victoire et se tresse des lauriers.

Un stratagème simpliste

En revanche, ce que l’on n’a pas du tout ou très peu entendu dans les analyses, c’est l’échec de la stratégie du camp présidentiel, basée presque exclusivement sur un éventuel boycott du scrutin par l’opposition. Car tout semble démontrer que le pari du chef de l’État Macky Sall était simple, sinon simpliste : pousser l’opposition dans ses derniers retranchements et la contraindre à renoncer de prendre part à ces législatives. Autrement dit, en misant sur les réactions parfois épidermiques de certains leaders de l’opposition, le pouvoir savait que l’invalidation des titulaires de la liste nationale de la coalition dirigée par Ousmane Sonko constituerait un casus belli, en tout cas le piège qui devrait faire trébucher ses adversaires. De fait, la précampagne a été marquée par de violentes manifestations qui ont fait au moins trois morts, justement à cause du refus de l’opposition d’accepter la décision du Conseil constitutionnel.

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Si la coalition de l’opposition avait maintenu son intention de boycotter ces élections législatives afin de dénoncer la décision du Conseil constitutionnel comme cela a été envisagé un temps, elle aurait pris le risque de laisser le champ libre aux seuls candidats de la majorité présidentielle de rafler tous les sièges ou presque de députés. Heureusement, ses leaders ont fini par comprendre (aiguillonnés par les chefs de confréries ?) que dans certaines circonstances, la politique de la chaise vide est loin d’être la moins mauvaise.

Le flou du troisième mandat

C’est dire qu’en décidant de participer au scrutin avec la liste nationale des candidats suppléants – ceux que les mauvaises langues ont parfois présentés comme des seconds couteaux –, l’opposition a non seulement confirmé la dynamique impulsée par les élections locales de janvier, mais elle a aussi déjoué les plans du pouvoir. Plutôt que d’être monocolore, ce qui aurait été un recul démocratique majeur, la présente législature sénégalaise annonce des joutes politiques truculentes.

Cela dit, sans reprendre à notre compte les accusations de fraudes et de bourrage d’urnes utilisées par l’opposition, on peut supposer que si les titulaires de la liste nationale des adversaires de Macky Sall n’avaient pas été invalidés, la majorité parlementaire aurait sûrement basculé en faveur de l’opposition, dont les leaders pariaient sur une possible cohabitation. Dans une telle hypothèse, l’actuel président sénégalais, élu en 2012 pour un mandat de sept ans et réélu en 2019 pour cinq ans, aurait été amené à dissiper plus tôt que prévu le flou qu’il maintient sur ses véritables intentions et aurait renoncé à la tentation du troisième mandat.

Par Adrien Poussou

Ancien ministre centrafricain de la Communication

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