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Le foutou sauce graine, un repas nommé Côte d’Ivoire

Éloges de l’Afrique gourmande (5/6). Plus que n’importe quel autre repas, la combinaison foutou sauce graine est enracinée dans le répertoire gastronomique ivoirien. Elle n’en est pas moins menacée par la « modernité », selon Joël Té-Léssia Assoko.

Des années durant, une de mes tantes a co-animé une émission culinaire populaire du week-end sur la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI). Je me souviens que certaines « innovations » – était-ce une macédoine en accompagnement ou une volaille grillée plutôt que braisée ? – n’avaient pas échappé au tsst-tss des puristes de la famille. Les Ivoiriens pardonnent à peu près tout, sauf d’être mal habillé – à la « zaïroise » ou, pire, à la « burkinabè » – et de s’amuser avec la nourriture. Sur ce dernier point, chaque Ivoirien compte sa liste de réprouvés : gastronomes de Facebook et autres apprentis-toubabs qui bouclent leur repas à la Vache qui rit, glissent des petits pois dans la sauce arachide ou ajoutent des crevettes dans le riz au gras.

Depuis une demi-douzaine d’années, une absurde campagne menace le plat ivoirien de référence : le foutou sauce graine. Divers agités vilipendent l’huile de palme pour ses supposés effets sur les forêts et la santé, causés plutôt par la cupidité de latifundistes malaisiens et les ultra-transformations de l’industrie alimentaire occidentale. « Le palmier à huile est fondamental dans la culture gastronomique ivoirienne, répond depuis Abidjan Anne-Marie T.L., une institutrice à la retraite. La pulpe des graines produit l’huile de palme et sert à cuisiner la sauce graine. Des noix est extraite l’huile de palmiste, particulièrement goûteuse. Du tronc est tiré le cœur de palmier, utilisé en cuisine, ainsi que l’indispensable vin de palme. Et deux variétés de champignons comestibles, prisés dans notre cuisine, poussent aux pieds du palmier ».

Lente dégradation du plat national

À un degré plus personnel, en près de trente ans, au cours de centaines d’invitations à domicile et de dizaines de restaurants « africains » fréquentés, j’ai observé avec consternation la lente dégradation du plat national. D’avance que les partisans de l’attiéké-poisson-braisé, de la sauce gombo, du kedjenou de pintade ou même du simple et brillant akpessi d’igname me pardonnent. Mais tous ces plats se retrouvent plus ou moins ailleurs en Afrique. Seul le foutou sauce graine est vraiment à nous, à condition qu’il soit authentique et sérieux. Il est de notoriété publique que la sauce graine est à peu près le seul mets qu’approuvent à l’unisson le président Alassane Ouattara (avec un foutou de banane) et son prédécesseur Laurent Gbagbo (riz blanc).

L’ALCHIMIE ORANGE-ROUGE-VERTE DU PLAT MÉRITE D’ÊTRE DÉFENDUE

J’ai avalé avec rage des foutous de banane préparés sans la vitale portion de manioc, qui rend l’ensemble moins douceâtre et plus digeste. J’ai mâchouillé des idées noires et du capitaine fade qu’un cuistot troll avait inséré dans la marmite en même temps que les viandes rouges et non pas en troisième phase de cuisson – après l’ajout de l’extrait de pulpe – avec le piment vert et les tomates fraîches. J’ai blasphémé au carême pour échapper à l’imagination de marmitons injectant feuilles de laurier, choux, concentré de tomates et carottes naines à une recette qui n’en demandait pas tant. J’ai siroté, les larmes aux yeux, une soupe clairsemée au jus de palme qu’un obsédé du cholestérol servait à des clients occidentaux comme sauce graine « à l’ivoirienne« .

Malgré ces attaques, l’alchimie orange-rouge-verte du plat mérite d’être défendue autant que l’héritage culinaire de cette surprenante nation. Terre d’accueil multiséculaire et d’hostilité apprivoisée, qui a intégré le Tchep et les Thiam au patrimoine national mais où les nouveaux-nés ont des arrière-pensées et où les carrefours font « va là-bas ! »

JA

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