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Antoine Glaser : « La France n’a pas compris la mondialisation de l’Afrique »

ENTRETIEN. Spécialiste de la Françafrique, qu’il considère comme « un anachronisme historique », Antoine Glaser replace l’Afrique dans le contexte géostratégique mondial.

C’est une première dans l’histoire des grands rendez-vous politiques entre la France et l’Afrique. Au sommet Afrique-France qui va se tenir ce vendredi 8 octobre à Montpellier, dans le sud de la France, il n’y aura aucun chef d’État africain. « Au-delà d’être un sommet sans chefs d’État, l’idée du Sommet de Montpellier, c’est finalement de faire une sorte de sommet renversé où ceux qui d’habitude ne sont pas invités dans ce type d’événements internationaux seront au cœur de l’événement. » C’est ainsi que l’Élysée justifie la politique du président français, Emmanuel Macron, à l’égard de l’Afrique. Celui-ci avait promis de rompre, tout comme ses prédécesseurs, avec la Françafrique. Pas facile de se débarrasser d’un système aussi intégré qui aura duré près de cinquante ans. Le journaliste, écrivain, et spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser, qui a récemment coécrit avec Pascal Ayrault Le Piège africain de Macron*, décrypte pour Le Point Afrique les enjeux de cette rencontre pour le président de la République, confronté aux nouvelles réalités du continent africain.

Le Point Afrique : Dans l’histoire des rapports Afrique-France, où Emmanuel Macron se situe-t-il ?

Antoine Glaser : Avec le sommet de Montpellier, Macron veut clairement acter une double rupture. Dans la forme, d’abord, il s’agit pour le chef d’État de sortir d’un tête-à-tête avec les chefs d’État africains, dont beaucoup sont des autocrates. Il veut dialoguer avec les sociétés civiles africaines et les diasporas. Pour la première fois, nous avons un président français qui est passé concrètement de la France en Afrique à l’Afrique en France.

Ensuite, sur le fond, il faut analyser cette séquence sur le long terme. La France va occuper en janvier 2022 et pour six mois la présidence tournante de l’Union européenne. Ce sera l’occasion pour Emmanuel Macron d’organiser dans ce cadre une rencontre peut-être de haut niveau entre les chefs d’État africains et les dirigeants européens. C’est une stratégie qui va lui permettre de sortir du pré carré français. Si Paris réussit à atteindre ces deux objectifs, alors ce sommet marquera un tournant historique.

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Le discours de Ouagadougou était-il le premier révélateur de cette rupture ?

Oui, certainement. Dès son arrivée, en 2017, Emmanuel Macron a voulu s’affranchir des limites du pré carré français et des écueils de la Françafrique. Il a lancé un appel en direction de la société civile, de la jeunesse du continent ; il a parlé de démocratie, de respect des droits de l’homme. Et la chance de Macron tient à sa personne. Il n’avait pas encore 40 ans lors de ce discours sur un continent où la moyenne d’âge est de 19 ans.

Pour marquer sa rupture et lancer une nouvelle relation avec l’Afrique, il a d’abord essayé de passer une ardoise magique sur les dossiers brûlants entre la France et le continent tels que la guerre d’Algérie, le Rwanda, la restitution des biens culturels, le franc CFA ou encore l’assassinat de Thomas Sankara.

Quel est son bilan ?

Le bilan est mitigé. Il y a un goût de déjà-vu. Emmanuel Macron a tenté d’aller sur d’autres terrains, comme lors de ses voyages dans les pays anglophones, au Nigeria, en Éthiopie ou au Ghana. Il a commandé des rapports sur les sujets mémoriels symboliques, l’Algérie et le Rwanda. La question des restitutions a été posée et débattue, le franc CFA a été officiellement abandonné, etc. Sauf que l’intendance ne suit pas. On ne change pas comme ça un système politique, militaire et financier qui a duré cinquante ans.

Vous parlez du système de la Françafrique ?

Oui. Il ne faut pas résumer la Françafrique aux seules histoires de valises de billets. C’était un système politique intégré qui a duré cinquante ans. Ce système a perduré dans une période historique particulière qui part des indépendances jusqu’à la chute du mur de Berlin. Une période tout à fait exceptionnelle pour la France, qui s’est retrouvée sans concurrence dans ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

La France choisissait les dirigeants parmi d’anciens membres de l’armée française, comme le général Bokassa, Eyadéma, ou des civils, comme Senghor et Houphouët-Boigny. Le militaire avait toute sa place puisque la France assurait la sécurité de ses protégés qu’elle avait cooptés au pouvoir. N’oublions pas que c’était la guerre froide. La contrepartie de cette mainmise était l’assimilation.

L’époque a changé, la France n’a plus du tout cette mainmise sur l’Afrique parce que le continent s’est totalement mondialisé, mais tout l’imaginaire autour de la Françafrique est resté.

Est-ce que cela explique en partie la montée du sentiment anti-français précisément dans ce pré carré francophone ?

Je pense que la France est, avec l’Afrique, dans une sorte d’anachronisme historique. La diaspora se trompe lorsqu’elle pointe la Françafrique. Aujourd’hui, l’Afrique est au cœur d’enjeux géostratégiques. On assiste à une nouvelle ruée, au profit d’autres puissances comme la Chine, les pays du Golfe, la Russie, et les Européens. Et c’est bien le paradoxe ! Au moment où Emmanuel Macron met fin aux grands-messes entre l’Afrique et la France, la Chine et, tout récemment, la Russie en font.

La réalité, c’est qu’il y a de moins en moins de Français en Afrique, en particulier dans la zone sahélo-saharienne.

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À quel moment la France a-t-elle décroché ?

La chute du mur de Berlin, en 1989, a bousculé les acquis. Ça s’est concrétisé en Europe par la réunification allemande. La fin de la guerre froide a profondément changé le destin de l’Europe. Mais elle n’a pas eu d’impact en Afrique, où les Français ont continué à agir dans leur pré carré comme s’ils étaient toujours chez eux et comme si le monde n’avait pas bougé.

Il y a eu pendant longtemps une sorte d’aveuglement, encouragé par les milieux patronaux. J’ai connu Abidjan dans les années 1980. Il y avait des Français partout, ils étaient à tous les étages. Le problème de la France est qu’elle n’a pas compris la mondialisation de l’Afrique alors que le reste du monde s’est organisé. La France est dans une sorte d’anachronisme historique. Bien sûr, les grands groupes continuent à faire du business en Afrique, mais où sont les PME ? Où sont les ETI ? Quelles sont les PME qui investissent les pays anglophones ?

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Ces rendez-vous manqués ont-ils encore aujourd’hui des répercussions dans la politique africaine effective des différents dirigeants, Macron compris ?

La Françafrique est comme un gros bateau, avec ses autocrates au pouvoir, surtout dans les anciennes colonies françaises. Emmanuel Macron l’a très vite compris. En s’adressant à la jeunesse africaine, Emmanuel Macron affirme qu’il faut arrêter de regarder dans le rétroviseur. Ensuite, il crée le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), dans lequel on retrouve des premiers de cordée, chefs d’entreprise, sportifs et intellectuels. Il s’est aussi tourné vers les diasporas. Sauf qu’il est rattrapé par la realpolitik. Quand il y a un coup d’État dans un pays ou un cas piégeux comme au Tchad, il se retrouve dans une position délicate où il apparaît comme le grand chef blanc. À côté du fils Déby, on a eu l’impression qu’il était en train d’adouber une succession dynastique. Quand il y a un problème au Mali, il se transforme en chef de guerre de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, tout en disant qu’il n’est pas en première ligne. Donc, encore une fois, on ne peut pas vouloir simultanément deux politiques contradictoires.

Dans le contexte de la Françafrique, les sommets franco-africains avaient un sens. Aujourd’hui, le paradoxe veut que finalement l’armée française au Sahel ne soit qu’un cache-misère d’une présence française globalement en déshérence.

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Qu’est-ce que la diaspora peut espérer de ce sommet ?

Emmanuel Macron veut valoriser l’Afrique aux yeux des Français, à travers une plus grande visibilité des diasporas, du sport et de la culture avec la saison Africa 2020, mais ça ne prend pas vraiment.

Pour moi, ce sommet est très politique parce qu’il se tient à quelques mois de l’élection présidentielle. Le contexte interne en France se grippe. Emmanuel Macron tient un double discours, mais il peut y avoir un retour de boomerang parce que le discours ne correspond pas à la réalité des sociétés civiles, ni en France ni en Afrique. Encore une fois, il y a les premiers de cordée, il y a peut-être des start-up, des sportifs, des entrepreneurs. C’est très bien de les valoriser. La réalité, c’est qu’il y a quand même le fameux plafond de verre pour les Français d’origine africaine.

L’Élysée peut se retrouver avec un cahier des doléances sur les problèmes de discriminations, d’inégalités, d’égalité des chances. On ne peut pas se contenter de valoriser les premiers de cordée. Au bout, ce sont les derniers de cordée des banlieues qui vont se rappeler à Macron avec leurs difficultés.

Au-delà de ce risque, et même s’il faut souligner que c’est un exercice de style nouveau qui n’a jamais été fait, personne n’oublie que la France a une présence militaire forte au Sahel, qu’elle occupe le poste de secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix aux Nations unies. Et donc que la question du rapport de force est toujours en jeu.

Le Point

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