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« Je suis la première Africaine à être allée dans l’espace, mais je ne serai pas la dernière »

Journaliste et explorateur habitué aux missions spatiales dites « analogues », Benjamin Pothier s’est entretenu avec l’Égyptienne Sara Sabry, devenue en août 2022 la première femme africaine et arabe à effectuer un vol en orbite. Elle revient sur cette expérience et sur les promesses du nouvel âge spatial qui s’ouvre.

Pour des raisons techniques, économiques, mais aussi culturelles, le secteur spatial est aujourd’hui en pleine transformation. Après l’avènement du New Space, synonyme d’ouverture à des projets de lanceurs commerciaux réutilisables conçus par des sociétés privées comme SpaceX, Blue Origins ou Virgin Galactics, et qui a fini par « changer le game » après des années de tests infructueux, on parle désormais dans le secteur de Next Space, voire de Space Renaissance, en référence à la Renaissance européenne du XVIe siècle.

Ce changement de paradigme, donc, est aussi d’ordre culturel : diversité et inclusivité sont à l’ordre du jour dans d’agenda spatial. Un virage qui s’est incarné notamment dans la première « Space Walk » entièrement féminine en 2019, puis deux ans plus tard avec le vol du Dr. Sian Proctor, première femme afro-américaine à piloter un vaisseau spatial lors de la mission Inspiration4, à bord d’un vaisseau SpaceX. L’année 2022 aura quant à elle été marquée par le premier vol d’une femme mexicaine, Katya Echazarreta, qui lui vaudra notamment la couverture de l’édition nationale du magazine Vogue.

Au-delà des controverses, sans doute nécessaires, autour de cette nouvelle course à l’espace financée par des milliardaires, nous avons pu nous entretenir avec Sara Sabry, témoin privilégiée de ces récentes évolutions, qui est devenue en 2022 la première femme égyptienne, arabe et originaire du continent africain à partir dans l’espace, en l’occurrence à bord du vol Blue Origin NS-22.

Sara Sabry s’était déjà distinguée en 2021 en devenant la première Égyptienne à participer à une « mission analogue », une simulation de mission lunaire organisée à des fins de recherche dans un ancien bunker nucléaire reconditionné, dont j’avais eu l’occasion de parler dans les colonnes d’Usbek & Rica. Elle revient ici sur ces deux expériences.

Usbek & Rica : En quoi votre participation à une mission spatiale « analogue » a-t-elle été précieuse dans la préparation de votre vol spatial ?

SARA SABRY

Mon expérience analogue m’a beaucoup aidée car elle m’a donné une très bonne introduction à ce qu’il faut pour aller dans l’espace, pour vivre et prospérer sur une autre planète. Après, je n’ai fait qu’un vol sous-orbital, nous n’avons pas passé beaucoup de temps dans l’espace, donc nous n’avions pas vraiment la dynamique d’équipage que vous obtenez habituellement dans le cadre des missions analogues « sur une autre planète ». Il est toujours très important de comprendre comment vous pouvez réagir dans différentes situations, comment se comporter dans un environnement confiné et isolé avec des gens qui, au départ, sont des inconnus, avant de devenir vos coéquipiers. La nouvelle relation, la cohésion d’équipage que vous créez avec ces gens aide beaucoup à anticiper comment vous allez gérer les choses, ce que vous connaissez de votre force, comment aider vos coéquipiers autant que vous le pouvez, et tout cela a été précieux pour mon vol avec Blue Origins.

Alors, comment était cette expérience de vol ?

C’était vraiment intéressant, ça ne ressemblait à rien de ce à quoi je m’attendais. Pour être honnête, j’imaginais que ce serait un peu comme être dans l’eau avec la flottabilité, mais ce n’était pas du tout comme ça. C’était un peu comme si je ne faisais plus partie de mon corps : j’ai ressenti une vraie liberté, une liberté de bouger comme je le voulais et avec beaucoup de facilité, beaucoup de légèreté. Une simple pression du bout d’un doigt peut vous envoyer très loin, et ça c’est très différent de tout ce que nous connaissons sur Terre. Lorsque nous sommes arrivés dans l’espace, j’ai détaché ma ceinture, je voulais commencer mes plans Zero-G (« zéro gravité », ndlr), je me suis poussée un peu trop fort sur la chaise et cela m’a projeté à grande vitesse vers le plafond de la capsule… En l’absence de gravité, vous ne reconnaissez pas votre force. Une toute petite poussée peut vraiment vous envoyer très loin.

« C’est une période passionnante pour travailler dans le spatial »
Sara Sabry, première femme africaine à avoir effectué un vol en orbite

Vous avez emporté avec vous dans l’espace une œuvre d’art collective, une « météorite » réalisée lors de la mission analogue Orpheus. De quoi s’agit-il exactement ?

Cette météorite imprimée en 3D est un poème que notre équipage et moi-même avons créé lors de notre mission analogue sur la base LunAres en Pologne, avec Benjamin, notre commandant. Une nuit, nous nous sommes assis ensemble dans l’atrium et nous avons pris un morceau de papier sur lequel chaque membre de l’équipage a écrit deux lignes. Vous ne pouviez pas vraiment voir ce que le membre d’équipage précédent avait écrit (suivant la technique surréaliste du « cadavre exquis », ndlr), et au final le texte avait du sens, c’était un poème vraiment drôle, qui disait quelque chose sur le caractère et la dynamique de l’équipage, le tout sur un petit bout de papier. Une amie de Benjamin (l’artiste mexicaine Amor Munoz, ndlr), avait créé un algorithme qui transforme les phrases en un modèle 3D en forme de météorite, et nous l’avons imprimé pendant notre mission. J’ai donc emmené dans l’espace ma météorite, celle qui contenait le poème de ma toute première mission analogue

On entend beaucoup parler aujourd’hui d’un « nouvel âge » spatial. Avez-vous l’impression d’en être l’une des représentantes ?

SARA SABRY

Oui, c’est une période passionnante pour travailler dans le spatial, et nous avons besoin de beaucoup plus de personnes pour faire partie de cette aventure. Le fait que je sois allée dans l’espace est une représentation fidèle de la façon dont les choses progressent : oui c’est difficile, oui c’est encore très limité, mais beaucoup de gens dans cette industrie, dont je fais partie, sont engagées de tout cœur pour la rendre la plus accessible possible, pour offrir plus d’opportunités. Je suis la première Égyptienne et la première Africaine à être allée dans l’espace, mais je ne serai pas la dernière, ce n’est que le début.

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