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Entre Afrique et Europe, le parcours du combattant des couples séparés par le coronavirus

Ils ne se sont pas revus depuis la première vague de la pandémie, en mars. De Pointe-Noire, Accra ou Libreville à Paris ou Copenhague, des milliers de couples se battent avec l’administration pour obtenir visas et laissez-passer.

La petite Noémie* est née le 9 septembre 2020. Mais son père, Steve*, n’a toujours pas pu la prendre dans ses bras. Ce Français d’origine béninoise de 43 ans avait tout prévu pour que sa femme gabonaise, Isabelle*, avec qui il entretient une relation à distance depuis quatre ans, puisse venir accoucher à Paris. En mars, ce couple de comptables s’apprêtait à déposer une demande de visa quand le coronavirus est venu contrarier leurs plans.

À Pointe-Noire, Alice* et Ferdinand* ont aussi été surpris par la pandémie. Cette Française de 27 ans, en VIA (Volontariat international en administration) à l’Institut français et ce Congolais de 23 ans vivaient ensemble depuis près de deux ans. Mais à la fin du mois de mars 2019, Alice a été rapatriée dans l’Hexagone à la demande du ministère des Affaires étrangères. « Cela fait bientôt six mois que je ne l’ai pas vue, c’est la première fois qu’on est séparé aussi longtemps », se lamente Ferdinand.

Puisque les frontières aériennes congolaises ont rouvert, le 24 août, ce régisseur son a bien l’intention de rejoindre Alice, qui a depuis trouvé un job en France. Steve, de son côté, explore toutes les options pour revoir sa femme et faire connaissance avec sa fille au plus vite. Mais du projet aux retrouvailles, il y a plus d’un obstacle administratif.

En dehors des cases

Depuis l’annonce par le gouvernement français de la mise en place d’une procédure dérogatoire pour les couples binationaux au début du mois d’août, Ferdinand tente désespérément d’obtenir un laissez-passer pour venir temporairement en France. Mais à ce jour, aucun sésame n’est encore sorti des méandres de l’administration, selon le collectif français Love Is Not Tourism. Le 17 septembre, le ministère des Affaires étrangères a reconnu des « dysfonctionnements » et assuré que les premiers documents seraient délivrés au plus vite…

Quant à Steve, il s’est heurté à la décision de Libreville de fermer son territoire aux ressortissants européens « de passage ». Puisqu’il fait l’objet de restrictions de voyage de la part de l’Union européenne – la Tunisie et le Rwanda sont les seuls pays africains à en être exemptés -, le Gabon a décidé d’appliquer un principe de réciprocité. « Je subis cette décision, mais je comprends les Gabonais, affirme Steve. Et étant donné la situation ici, avec le nombre de cas qui augmentent, je ne pense pas qu’ils vont ouvrir leurs frontières aux Français dans les semaines à venir. »

Si ces couples ont tant de mal à faire valoir leurs droits à se retrouver, c’est qu’ils ne sont ni mariés, ni pacsés. Ils ne rentrent donc pas dans les cases administratives qui leur permettrait de faire reconnaître leur lien et justifier l’obtention d’un visa ou d’un laissez-passer.

Hashtag « #LoveIsNotTourism »

Sur internet, des milliers de couples « non-officiels » comme eux se sont réunis autour du hashtag #LoveIsNotTourism pour alerter les autorités et l’opinion publique. Sur Facebook, Twitter ou Instagram, ils sont nombreux à raconter leurs histoires d’amour et à poster des photos pour conjurer leurs angoisses. Surtout, ils discutent des recours possibles et partagent leur frustration…

« Ce sont des déplacements importants, pas des vacances. Notre partenaire a un impact sur notre bien-être, notre santé mentale, notre famille, notre carrière », plaide Felix Urbazik. Sur le site loveisnottourism.org, ce programmateur allemand, très affecté par sa séparation avec son amie australienne, recense depuis le 5 juillet des pétitions et des informations sur les avancées obtenues, pays par pays. « Nous avons réussi à faire évoluer les règles dans douze pays européens, assure-t-il. Mais il y a beaucoup d’effets d’annonces, qui n’aident pas les couples en réalité. »

Un sentiment partagé par Alice : « Ça n’avance pas, on a l’impression que ce ne sont que des belles promesses. Notre dossier doit être validé par le consulat de Pointe-Noire, puis par la sous-direction des visas, puis par la cellule interministérielle de crise. Actuellement, il est bloqué, mais on ne sait pas vraiment où… ».

Sans compter l’aspect intrusif de cette procédure. « Sur 30 à 40 pages, on doit expliquer notre situation, donner des preuves de notre vie commune comme un contrat de bail, des billets d’avions, des photos de nos vacances ensemble… », s’indigne la jeune femme.

S’il a l’apparence du Graal, le laissez-passer ne reste par ailleurs qu’une étape. Ferdinand devra ensuite obtenir un visa, une mission déjà compliquée en temps normal, qui l’est d’autant plus au temps du coronavirus. « On sait bien que les règles sont faites pour être respectées, mais l’amour n’a pas de frontières. Je trouve qu’il sont trop stricts » , soupire le jeune Congolais.

Décisions politiques ?

Chez Alice comme chez Steve, un sentiment domine : ce sont des considérations de politique intérieure et non sanitaires qui motivent les décisions des autorités françaises. « L’Afrique est le continent le moins touché par la pandémie, je pense que les Africains venant en France ne représentent pas un grand risque. Ils veulent simplement limiter l’immigration, estime Steve. Le coronavirus a bon dos. »

Alice pointe aussi les contradictions du gouvernement français : « Je travaillais pour le ministère des Affaires étrangères. Nous ne demandons pas de faveurs particulières mais on ne peut pas envoyer des Français à l’étranger sans envisager que des couples binationaux se forment. »

Sofie et Bismarck, couple dano-ghanéen, pourraient, eux, tenter leur chance avec les « sweethearts visas », mis en place par le Danemark mais aussi l’Allemagne ou l’Autriche pour permettre aux amoureux de se retrouver malgré la pandémie pour un maximum de 90 jours.

Mais Bismarck, fraîchement diplômé de l’université des sciences et technologies Kwame Nkrumah, ne peut pas quitter le Ghana : il s’y installe en tant que médecin généraliste le 1er octobre. Les deux tourtereaux se sont rencontrés à Kumasi en juillet 2019, le temps d’un programme d’échanges de la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine. Ils devaient se retrouver cet été. Mais le Covid-19 en a décidé autrement.

Depuis l’annonce de la réouverture des frontières par le président Nana Akufo-Addo, le 30 août, Sofie se prépare à faire le voyage, en dépit des recommandations du gouvernement danois. « Ce n’est pas très sûr d’un point de vue sanitaire, s’inquiète Bismarck. Je pense que les statistiques officielles ne reflètent pas la réalité de la situation épidémique au Ghana, parce qu’on ne teste pas assez. » Mais après avoir pesé le pour et le contre, il s’apprête à accueillir l’élue de son cœur dans deux semaines, après plus d’un an de séparation. « Tout ce que je veux, c’est la serrer dans mes bras », sourit Bismarck.

*Les prénoms ont été changés

Source : Jeune Afrique

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