Si les dérives autoritaires ne sont pas nouvelles sur le continent, trois scrutins récents montrent que le mirage électoral ne tient plus, suscitant parfois des révoltes inédites.
Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, roman publié en 1998, l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma décrivait le destin épique d’un Ubu roi africain qui se maintient au pouvoir grâce à la magie et aux mitraillettes.
Près de trente ans plus tard, les Ubu rois se portent bien sur le continent africain. Et trois scrutins récents montrent hélas que ce sont toujours les
mitraillettes qui imposent le résultat des urnes. La seule magie utilisée relève désormais de l’illusion électorale derrière laquelle se cachent des régimes autoritaires, et de plus en plus impopulaires.
Le cas le plus flagrant est celui de la Tanzanie. Ubu est ici une reine, Samia Suluhu Hassan. Laquelle contre toute évidence, s’est arrogé samedi 1er
novembre le score de 97,7 % des voix dans un pays en flammes, où des milliers de manifestants sont descendus dans les rues des principales villes du
pays dès le jour du vote, mercredi, pour dénoncer un scrutin truqué d’avance. Les leaders de l’opposition ont été jetés en prison, leurs partis exclus de la compétition électorale.
L’ampleur de la répression aurait déjà fait des centaines de morts, au moins 700 selon diverses sources. Il est vrai que cette femme de 65 ans, au
visage sévère, avait déjà imposé un régime d’arbitraire et de violences inouïes, ciblant même des observateurs étrangers, depuis son arrivée au
pouvoir en 2021.
Bourrages d’urnes et candidatures invalidées
Que dire alors du Cameroun ? Agé de 92 ans, dont 43 ans au pouvoir, Paul Biya s’est proclamé vainqueur du scrutin du 12 octobre pour un
huitième mandat. En dépit d’un bilan désastreux dans ce pays délabré, où ce président vieillissant n’apparaît que très rarement en public.
Face à cet éternel absent, un candidat surprise a suscité un engouement inattendu. Ancien ministre en rupture
de ban, Issa Tchiroma a capitalisé le ras–le–bol des Camerounais. Lesquels sont, là encore, descendus dans la rue pour dénoncer les bourrages d’urnes
puis pour contester la victoire officielle de Biya avec 53,6 % des voix. Là encore, la répression a été féroce. On compterait au moins une vingtaine de
morts et des centaines d’arrestations.
En apparence, le scrutin du 25 octobre en Côte- d’Ivoire s’est déroulé dans un climat bien plus calme, consacrant la réélection triomphale
d’Alassane Ouattara avec près de 90% des voix pour un quatrième mandat. Mais personne n’est dupe : les deux principaux challengers du président
sortant, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, ont vu leurs candidatures invalidées. Et malgré le saccage de certains bureaux de vote, et tout de même une
dizaine de morts, l’illusion électorale s’est imposée au prix d’un déploiement massif de 44 000
militaires et de centaines d’arrestations, alors que toute manifestation a été interdite.
Vent de contestation
Or, malgré le climat de peur qui s’impose, la colère ne faiblit pas. Si une forme de fatalisme semble dans l’immédiat prévaloir en Côte–d’Ivoire, le vent
– de contestation n’est pas retombé en Tanzanie. Ni au Cameroun, où des journées «villes mortes» sont prévues à partir de lundi. Après avoir été la cible de
tirs contre sa résidence, Tchiroma – qui conteste la victoire de Biya – se cache dans un lieu inconnu, affirmant être sous la protection de militaires qui
auraient fait dissidence. En tentant d’imposer les armes face aux urnes, ces régimes autoritaires ne font qu’accroître les risques de confrontations
violentes, voire de guerre civile.
La communauté internationale, d’habitude plutôt prudente, semble l’avoir bien compris cette fois–ci.
Au Cameroun, Bruxelles, mais aussi, pour une fois, Paris, ont clairement dénoncé les morts des violences post–électorales. En Tanzanie, l’ONU et
certains pays de la région ont également demandé la fin de la répression. Désormais les masques sont tombés, les rois Ubu sont nus.
Libé Afrique

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