Quand une personne ayant autorité abuse de son pouvoir pour obtenir une contrepartie sexuelle, on appelle cela de la corruption sexuelle. Transparency International Initiative Madagascar s’est mis en tête de combattre ce fléau ancré au sein des universités du pays, mais fait face aujourd’hui à toute une série de blocages.
« C’était quelqu’un de très malin ; il n’a jamais agi devant un témoin et il ne m’a pas fait d’avances directes. Il me racontait tout le temps des histoires, des anecdotes, “qu’une fille a très bien réussi parce qu’elle a couché avec son professeur« », raconte Tsiky*. Cette jeune femme issue d’un milieu défavorisé et aujourd’hui âgée de 29 ans a subi un harcèlement répété entre 2012 et 2014 de la part de l’un de ses enseignants, à l’université privée de Majunga.
Excellente élève, ses notes ont toutefois dégringolé dans les matières dispensées par ce professeur qui attendait d’elle des faveurs sexuelles. « Je lui ai demandé pourquoi je n’avais que des mauvaises notes et il m’a répondu “c’est parce que tu n’as pas suivi mes conseils.” À un moment, j’ai failli céder, parce que pour moi, mes études, c’était la seule issue pour sortir de mon milieu social. Mais après, je me suis dit, “si je suis enceinte, qu’est-ce que je vais faire ?” Donc j’ai dit non jusqu’à la fin. Mais je n’ai pas porté plainte, parce que c’est sa parole contre ma parole. »
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Des informations qui ne trompent pas
Conséquence, Tsiky rate de peu la major et se bat, cinq ans après, encore contre ses angoisses, séquelles d’une corruption sexuelle à laquelle elle a refusé de se soumettre. « Encore aujourd’hui, j’ai peur de lui, j’ai peur de son emprise. Surtout pour ma carrière professionnelle parce que c’est tout pour moi, et toute ma famille », confie-t-elle.
Impossible de connaître l’étendue du fléau, car les statistiques n’existent pas encore. Mais pour Liantsoa Rakotoarivelo, cheffe de projet de lutte contre la corruption sexuelle au sein de Transparency International Initiative Madagascar, il y a des informations qui ne trompent pas : « À la suite de notre investigation, les étudiants disent que c’est une pratique. Donc qui dit pratique, dit quelque chose de courant. »
Convaincre les victimes de porter plainte
L’enjeu dans cette lutte, c’est de convaincre les victimes de porter plainte. Mais à l’inverse d’un autre type de corruption, financière par exemple, la corruption sexuelle, en plus d’être un sujet tabou dans la société malgache, reste immatérielle et la collecte de preuves tangibles peut s’avérer très difficile.
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Le projet dirigé par Liantsoa Rakotoarivelo vise donc, entre autres, à mieux armer les victimes pour les aider à porter plainte. « On va frapper fort sur la communication, c’est-à-dire qu’on va essayer d’expliquer, d’informer les gens de ce qu’est la corruption sexuelle. Et après faire un bad buzz, c’est-à-dire pointer du doigt les établissements dans lesquels la pratique existe. Mais également nommer les profs qui sont corrupteurs une fois qu’on aura réuni toutes les preuves concrètes. Dernière chose : essayer d’équiper les étudiantes de caméras cachées, car le meilleur moyen pour prouver l’existence de cette corruption, c’est le flagrant délit, avec des vidéos, des enregistrements vocaux, ou des photos », explique Liantsoa Rakotoarivelo.
Seulement, l’ONG se heurte aujourd’hui à la frilosité des bailleurs, encore peu enclins à financer des projets qui touchent, disent-ils, « une forme de corruption si sensible ».
En décembre dernier, un réseau d’investigation malgache, Malina, jetait un pavé dans la mare en révélant l’existence persistante de cette forme de corruption au sein des universités du pays. À travers l’île, le réseau a récolté des témoignages faisant état « d’un rapport sexuel contre l’assurance de passer au niveau d’étude supérieur », « d’une nuit avec l’étudiante contre un stage qui lancera sa carrière », ou encore « d’une fellation contre la gratuité des livres du programme. »
*Le prénom a été changé RFI