neeon Blog CULTURE Lous and the Yakuza : «Avec la guerre, j’ai appris à parler et à survivre en même temps»
CULTURE

Lous and the Yakuza : «Avec la guerre, j’ai appris à parler et à survivre en même temps»

Étoile de la galaxie belge, cette chanteuse née au Congo a connu la guerre et la pauvreté. À la vitesse du son, ses tubes et ses mélodies l’ont propulsée sur la scène internationale. Rencontre avec une artiste éclectique, également égérie Vuitton.

Le nom qu’elle s’est choisi pour la scène parle pour elle : Lous, anagramme de soul, la musique de l’âme. En 2019, avec la chanson Tout est gore, Marie-Pierra Kakoma, charismatique chanteuse et auteure-compositrice congo-belge, a enflammé le monde de la musique. Accompagnée de ses «Yakuza» – un groupe composé de danseurs, musiciens et du producteur encensé El Guin­cho (le beatmaker de la chanteuse Rosalía) –, elle a surgi d’une foisonnante galaxie belge qui ne cesse de façonner des talents nommés Stromae, Angèle ou Damso. Auteur de tubes comme Dilemme – 20 millions de streams dans le monde – et de l’album Gore, Lous and the Yakuza s’est imposée comme l’un des phénomènes majeurs de la scène pop, soul et rap internationale avec des mélodies dansantes et un univers tout en vif-argent.

Du milieu de son front jusqu’au bout de ses longs doigts court une myriade de petits symboles peints à la main, comme des constellations de messages d’espoir gravés sur sa peau. Lous est élégante et fuselée comme une sculpture en ébène. À 25 ans, c’est une vieille âme dans un corps de jeune femme. Née à Lubumbashi, en République démocratique du Congo, d’une mère rwandaise et d’un père congolais, tous deux médecins engagés dans l’humanitaire, elle a fait face à toutes sortes d’adversités depuis l’enfance. Elle a fui la guerre au Congo, a vécu séparée de ses parents dans un Rwanda postgénocide. Exilée politique avec sa famille en Belgique, elle a été victime de la pauvreté et du racisme, et s’est même retrouvée à la rue. Jamais, elle ne s’est laissée abattre par le destin : «Je me suis constamment accrochée à mon rêve de devenir chanteuse pour garder la tête hors de l’eau», confie-t-elle. Humaniste, elle contribue au financement de la construction d’hôpitaux en Afrique.

 le défilé Louis Vuitton automne-hiver 2022-2023 au musée d’Orsay

Passionnée de littérature, elle a traduit le poème qui a ébloui l’Amé­rique et le monde, The Hill We Climb (La colline que nous gravissons), déclamé par la poétesse afro-américaine Amanda Gorman lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden. Icône féminine et mannequin, elle inspire Nicolas Ghesquière qui l’a choisie comme égérie des campagnes Louis Vuitton. Sa voix, elle, ne laisse pas indemne. Les paroles de ses chansons témoignent de la liberté qu’elle s’octroie : totale, absolue, fol­le. Alors qu’elle fait la navette entre Bruxelles, Paris et Los Angeles pour terminer son prochain album, la chanteuse se confie en exclusivité.

Je me suis constamment accrochée à mon rêve de devenir chanteuse pour garder la tête hors de l’eau

LOUS AND THE YAKUSA

Madame Figaro.– De quoi parle Kisé(1), votre nouveau single qui annonce un prochain album ?
Lous and the Yakusa.– Kisé est une histoire d’amour, le récit d’une amitié fusionnelle entre deux femmes liées pour le meilleur et pour le pire. Pour exprimer les questionnements de cette relation très intense, j’ai cherché des sons purs, vifs, bruts et des rythmes rapides. Mes inspirations vocales restent les mêmes : Whitney Houston, Céline Dion et la soul. La voix masculine qu’on entend dans les chœurs est celle de El Guincho, qui est très doué pour incorporer des samples afrobeat, dub, tropicália et rock’n’roll.Que représentent les symboles qui ornent votre visage et quand avez-vous commencé à les peindre ?
À l’école, je faisais des dessins sur mes mains et mes genoux pendant les cours. J’ai commencé à les peindre aussi sur mon visage à mes 18 ans : je n’aimais pas le maquillage, alors j’y traçais ces images qui me faisaient sentir plus forte, plus belle. Je n’ai plus arrêté depuis. Tous ont une signification personnelle. Depuis mon enfance, je suis obsédée par l’archéologie, l’Égypte ancienne, les civilisations maya et inca. Mes dessins sont inspirés par ces cultures, comme par les symboles de mes tribus africaines.

Quelles sont vos tribus ?
J’en ai deux. Je ne citerai pas le nom de ma tribu au Rwanda, car l’appartenance ethnique y a provoqué une guerre terrible. Au Congo, je fais partie de l’ethnie Kalwena, comme on dit en swahili. Selon l’histoire qui m’a été transmise, cette tribu descend d’une femme qui était tombée amoureuse d’un homme originaire d’un autre empire. Pour le protéger, elle lui avait offert un bracelet d’intestins qui symbolisait la force des rois et des reines, et avait mandaté ses frères pour l’aider. L’un d’eux avait alors créé la tribu Kalwena, dont je descends. Je trouve le concept de tribu intéressant, car il témoigne de l’appartenance à une culture. Mais à certaines époques, il n’est que source de séparation et de douleur dans le monde. Je le manie donc avec précaution.

La guerre a été l’un des premiers apprentissages de ma vie : j’ai appris à parler et à survivre en même temps

LOUS AND THE YAKUSA

Que connaissez-vous de la douleur du monde ?

Je connais le déchirement de la séparation. Je suis née à Lubumbashi et j’ai été séparée de ma mère quand j’avais 2 ans. Pendant la deuxième guerre du Congo, en 1998, ma mère, pédiatre rwandaise, a été emprisonnée à cause de son appartenance ethnique. Mon père, qui est congolais, s’est battu pour obtenir sa libération. Il a réussi à la faire émigrer en Belgique dans un centre de réfugiés, où on l’a rejointe en 2001. La guerre a été l’un des premiers apprentissages de ma vie : j’ai appris à parler et à survivre en même temps.

Vous avez grandi entre le Congo, la Belgique et le Rwanda. Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?
Au Congo, on vivait dans une grande maison entourée de cinq hectares. Mon père, qui était recteur à l’université de médecine, est obsédé par l’histoire, la transmission, et y a pris des centaines de vidéos de nous. En 2001, on est passés de cette opulence au quartier le plus malfamé de Bruxelles, Saint-Josse. On dormait dans la même chambre. Les voisins haïssaient les Noirs et cultivaient tous les préjugés imaginables sur l’immigration. Ensuite, en 2005, mes parents m’ont dit : «Ta petite sœur et toi allez partir en vacances au Rwanda.» On y est restées six ans ! J’ai été scolarisée à Kigali. C’était après le génocide : on voyait des gens mutilés et des orphelins estropiés partout dans la rue. J’avais 9 ans, je vivais avec ma grand-mère maternelle qui était très dure et le pays me faisait peur. Mes parents, investis dans l’humanitaire, nous ont rejoints. J’ai appris des années plus tard qu’ils avaient dû retourner au Congo, où il y avait la guerre. Mes valeurs ont changé à cette époque : j’ai compris que ma vie à Bruxelles, avec l’eau courante et l’électricité, était un luxe.

LOUS AND THE YAKUZA, LA COVER STORY

Figaro
Quitter la version mobile