Royaume-Uni : 10 choses à savoir sur Kemi Badenoch, la nouvelle cheffe du Parti conservateur
De même que la domination des idées du candidat républicain dans la campagne présidentielle aux États-Unis a conduit à diagnostiquer une « trumpisation de la politique américaine », les observateurs déplorent au Royaume-Uni, depuis l’exercice du pouvoir par Boris Johnson, une tendance à la « trumpisation du parti conservateur ».
L’arrivée d’une femme d’origine nigériane à la tête du très traditionnel Parti conservateur a été saluée comme un événement. Si elle incarne un renouvellement de la classe politique, Kemi Badenoch reste fidèle aux positions les plus dures de la droite.
Élue le 2 novembre à la tête du Parti conservateur britannique, ce qui fait d’elle la cheffe de file de l’opposition au gouvernement travailliste de Keir Starmer, Kemi Badenoch, 44 ans, s’est souvent fait remarquer par des prises de position particulièrement clivantes sur l’immigration, le Brexit, le statut des fonctionnaires ou les règles de protection de l’environnement qu’elle juge bien trop contraignantes.
Quatrième femme à prendre la tête du mouvement (après Margaret Thatcher, Theresa May et la très éphémère Liz Truss), elle est aussi la première personne noire à accéder à cette fonction (son prédécesseur Rishi Sunak a été la première personne de couleur à diriger le parti et à devenir Premier ministre). L’actuel chef du gouvernement, Keir Starmer, s’en est d’ailleurs réjoui, évoquant << un moment de fierté pour notre pays ». Au vu de son parcours et de ses déclarations, il semble peu probable que Kemi Badenoch fasse de l’intégration ou du multiculturalisme l’une de ses priorités politiques.
- De Wimbledon au Nigeria
Kemi Badenoch – dont le nom de baptême est Olukemi Olufunto Adegoke, Badenoch étant le nom de son mari – est née le 2 janvier 1980 à Wimbledon, au sud–ouest de Londres, d’un père médecin et d’une mère professeur de physiologie, tous deux d’origine nigériane. La jeune fille a vécu aux États–Unis et à Lagos, qu’elle quittera pour le Royaume–Uni à l’âge de 16 ans. «J’ai eu la malchance de grandir sous une dictature militaire qui menait une politique très à gauche, c’est quelque chose que je ne souhaite à personne », raconte–t–elle en évoquant le
Nigeria.
- Parti conservateur
En 2005, elle a 25 ans quand elle rejoint les Conservateurs britanniques. Elle est élue députée en 2017, puis réélue en 2019 et 2024. À partir de 2020, elle occupe plusieurs postes ministériels dans les gouvernements Tories dirigés successivement par Boris Johnson, Liz Truss et Rishi Sunak. Le 2 novembre
dernier, elle est élue à la tête du plus vieux parti politique du pays, après une première tentative en 2022.
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- Opposition divisée
Kemi Badenoch arrive à la tête d’un parti profondément divisé, dirigé par cinq Premiers ministres successifs depuis 2010. Usée par la période difficile qui a suivi l’adoption du Brexit, fragilisée par les frasques de certains de ses leaders, l’organisation a subi une lourde défaite aux élections de juillet dernier. Sa nouvelle dirigeante promet que des changements sont à venir afin de << donner à notre parti et à notre pays le nouveau départ qu’ils méritent>>. Quitte à affronter des «< vérités difficiles >>.
- Soutenue par BoJo
L’ancien Premier ministre Boris Johnson, dont Kemi Badenoch a été successivement secrétaire d’État à l’Enfance et à la Famille, secrétaire de l’Échiquier, ministre d’État à l’Égalité et ministre d’État à la Croissance régionale et aux Collectivités locales, a salué
avec enthousiasme l’arrivée de son ex–collaboratrice à la tête du parti. << Elle possède le courage et la clarté
nécessaire pour faire éclater au grand jour les échecs de Starmer», a–t–il assuré, évoquant une victoire <<<<extraordinaire >>.
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- Reine de la controverse…
Depuis ses débuts en politique, Kemi Badenoch a prouvé que les polémiques ne lui faisaient pas peur. Une des plus récentes a été provoquée par une interview accordée le 29 septembre dernier, durant laquelle elle a estimé que les indemnités de maternité accordées aux mères britanniques étaient «<excessives ». Face aux réactions hostiles, elle a ensuite nuancé son propos, expliquant que c’était l’ensemble des règles légales pesant sur les entreprises qu’elle jugeait «<excessives »>, et non le montant de l’indemnité évoquée.
- … mais pas du «< combat » ?
Pourtant, Kemi Badenoch assure qu’elle n’a pas de goût particulier pour le combat. << Certains disent que j’aime me battre, a–t–elle déclaré. Je ne sais pas d’où leur vient cette idée mais c’est faux. Je n’aime pas me battre mais cela ne me fait pas peur». Elle a ensuite expliqué qu’elle n’hésiterait pas à lutter pour «<les idéaux conservateurs >> et contre << les non–sens défendus par la gauche >>.
- Britannique et noire
La nouvelle patronne du Parti conservateur portera–t–elle la voix des Britanniques noirs ? Visiblement rien n’est moins sûr. En 2020, lors d’un débat à la Chambre des
communes consacré à l’histoire de la communauté noire, elle avait affirmé qu’il était illégal d’enseigner <«<le privilège blanc et la culpabilité raciale» comme des faits incontestables, provoquant alors de très vives réactions.
Dans une tribune publiée par le Guardian au lendemain de son élection à la tête du parti, la journaliste d’origine soudanaise Nesrine Malik rappelait aussi : << Cette femme a soutenu que toutes les cultures ne sont pas égales quand il a fallu décider qui était autorisé ou non à entrer
dans notre pays >>. << Ce sera un désastre pour toutes les personnes noires qui essaient de se faire une place au Royaume–Uni, a aussi estimé Temitayo Mabayoje, une Nigériane vivant dans le pays. Elle n’a que du dédain pour ces gens, et elle le dit tout à fait ouvertement. >>
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- Nigeria lover?
Faute de porter la voix des populations noires, Kemi Badenoch aidera–t–elle à bâtir des ponts entre le Royaume–Uni et le Nigeria? Là encore beaucoup en doutent, rappelant que lorsqu’elle évoque son enfance dans le pays d’origine de sa famille, elle le fait généralement en termes négatifs, parlant d‘ << histoires horribles>> et de << voisins qui hurlaient toutes les nuits parce qu’on les attaquait ». Pour l’avocate et universitaire anglo–nigériane Shola Mos–Shogbamimu, «< Kemi Badenoch ne sera pas au Nigeria ce que Barack Obama a été au Kenya. Elle ne sera une source d’inspiration pour aucun Nigérian qui douterait de son propre potentiel, à
moins de vouloir devenir un visage noir caché derrière un masque blanc. >>
- Ou Nigeria hater ?
Si les autorités nigérianes n’ont fait aucun commentaire suite à l’arrivée de l’ancienne ministre à la tête des Tories, certains dans le pays se montrent plus optimistes. Spécialiste de géopolitique, Ovigwe Oguegu estime que Kemi Badenoch vient s’ajouter à une longue liste de pionniers qui ont ouvert la voie pour leurs compatriotes,
et constituera un nouvel exemple qui montre aux Nigérians vivant au Royaume–Uni << qu’eux aussi peuvent un jour accéder aux cercles de pouvoir »>. Chef de l’opposition travailliste au Nigeria, Peter Obi a de son côté jugé la victoire de sa compatriote << inspirante >>, estimant que son pays devrait prendre modèle sur le Royaume–Uni et permettre l’accession au pouvoir d’une jeunesse de plus en plus compétente, mais encore cantonnée à des rôles secondaires par les dirigeants plus
âgés.
- Autocentrée
Finalement, les Britanniques noirs et les Nigérians doivent–ils attendre quoi que ce soit de la nouvelle cheffe de l’opposition conservatrice? Craindre ses prises de position? Ni l’un ni l’autre, si l’on en croit le journaliste nigérian Osasu Obayiuwana, qui juge que Kemi Badenoch roule d’abord et avant tout pour elle–même. Sa victoire, estime–t–il, «<n’est certainement pas celle des Anglo–Nigérians, ni, plus largement, de la communauté noire, à laquelle elle n’a d’ailleurs pas de temps à consacrer. Tout comme elle a dit très clairement qu’elle n’aurait pas non plus de temps à consacrer au Nigeria. >>
Une perméabilité aux idées du trumpisme
Sa victoire signe d’abord la défaite de son principal rival, Robert Jenrick. Cet ancien avocat ne cache pas sa sympathie pour l’ancien président républicain et sa proximité avec Elbridge Colby, ancien cadre de la première administration Trump, pressenti pour diriger le Conseil de sécurité nationale dans le cadre d’une seconde administration Trump. Convaincu de la nécessité de neutraliser la menace constituée par le parti populiste de Nigel Farage, Reform UK, il a ainsi déclaré que les électeurs britanniques ne considéraient pas le parti Tory comme suffisamment conservateur. Héraut d’une politique migratoire radicalement restrictive, il est favorable à la sortie du Royaume-Uni de la Convention européenne des droits de l’homme.
Si Kemi Badenoch a refusé de s’engager sur ce sujet, totem de la droite du parti conservateur, elle n’en partage pas moins beaucoup des idées de son ancien rival, comme elle l’a rappelé dans son discours de victoire. Elle rejoint son diagnostic de l’affaiblissement idéologique d’un parti qui, selon ses propres mots, « parle à droite mais gouverne à gauche » depuis la révolution du New Labour de Tony Blair. Dans son premier discours aux Communes, elle a accueilli le Brexit comme « le meilleur vote de confiance en faveur du projet de Royaume-Uni ».
Ancienne titulaire des portefeuilles de l’Enfance et la Famille, puis des Femmes et des Égalités, elle défend sur les sujets sociétaux des positions fermes qui créent régulièrement la polémique. Celle que l’ensemble de la classe politique britannique a saluée comme la première femme noire à la tête du parti conservateur a un regard très décomplexé sur l’histoire coloniale britannique, dont elle appelle à mettre en avant les acquis positifs aussi bien que négatifs. Autoproclamée « féministe critique de la théorie du genre », elle s’est opposée en tant que ministre à un projet visant à permettre l’identification en tant que tels des employés transsexuels et à l’installation de toilettes non genrées dans les lieux publics.
Aux avant-postes de la guerre contre le wokisme, elle a récemment affirmé dans la presse que « toutes les cultures ne sont pas égales » et défend sur les questions migratoires des positions tranchées, refusant d’accueillir au Royaume-Uni des personnes en quête de dortoir et d’argent sans partager ses valeurs et contribuer à sa société. Un mois avant son élection à la tête des Tories, elle a créé la polémique jusque dans son propre camp en déclarant que l’allocation versée au titre du congé maternité était excessive et que 10 % des fonctionnaires britanniques étaient si nuisibles qu’ils devraient finir en prison. Sur les questions internationales, elle met en garde avec des accents trumpiens sur la consolidation d’un axe d’États autoritaires – l’Iran, la Chine, mais aussi la Russie – désireux d’affaiblir l’Occident, face auxquels elle recommande de s’engager sérieusement .
Un retour aux fondamentaux du conservatisme ?
Si cette habitude à cultiver le clivage est régulièrement critiquée par ses détracteurs, les moments « Kemi-kaze » passent pour d’autres comme savamment orchestrés pour mobiliser l’espace médiatique. Pourtant, comme chez l’ancien président républicain, les discours disruptifs cohabitent avec des comportements controversés. Plusieurs députés conservateurs se sont émus de ses tendances à la vulgarité abrasive, considérées comme un risque pour le parti qu’elle prétend diriger. Des anciens collaborateurs l’ont accusée d’avoir créé une atmosphère d’intimidation, jugée toxique, lors de sa présence au département des Affaires et du Commerce. Elle passe enfin pour ses anciens collègues à l’hebdomadaire Spectator, où elle fut chargée du numérique avant d’entrer en politique, comme une « reine du dysfonctionnement », qui listait les problèmes sans y apporter de solutions véritables.
La nouvelle cheffe du parti conservateur entend pourtant se démarquer de la trumpisation latente qui a touché les Tories depuis les années Johnson. Appelée par le Times à choisir entre Donald Trump et Kamala Harris, elle a préféré s’abstenir, déclarant apprécier les deux mais préférer George Bush. Elle assure déplorer les platitudes et la rhétorique vide qui accompagnent la polarisation, le protectionnisme et le populisme, amplifiés par les réseaux sociaux. Elle rejette l’hypertrophie d’un gouvernement qui, par un excès de taxes, de règles et de régulations, promet trop et veut résoudre trop de problèmes, faisant le jeu de la déception et de la désillusion des électeurs. Rejetant la « culture misogyne » de son Nigeria natal, où une fille ne pouvait sans susciter la consternation étudier les mathématiques, elle a tôt revendiqué l’exemple de force et de puissance de Margaret Thatcher. Elle partage d’ailleurs avec son directeur de campagne, Lee Rowley, une admiration pour les idées de Keith Joseph, à l’origine de la refondation du parti conservateur dans les années 1970, et pour le modèle d’État minimal et de société indépendante promu par Ronald Reagan dans la décennie 1980.
Malgré des outrances de forme et de fond, qui auront sans doute contribué à son ascension fulgurante, l’élection de Kemi Badenoch présage ainsi davantage d’une purification du parti conservateur. Après une longue période d’instabilité politique qui n’a pas permis de répondre à la trumpisation à l’œuvre depuis les années Johnson, la nouvelle direction entend réinventer un conservatisme émancipé de l’héritage du blairisme que David Cameron avait fini par assimiler. Face à un gouvernement Starmer et des travaillistes défaits des controverses des années Corbyn, la réinvention du Torysme exigera cependant la méthode et la matière dont Kemi Badenoch a d’autant pu faire l’économie qu’elle n’en dispose pas encore.
Jean Moliere
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