29 mars 2024
Paris - France
AFRIQUE INTERNATIONAL

Prix Nobel alternatif: une Camerounaise récompensée par le Right Livelihood Award

Marthe Wandou figure parmi les quatre lauréats annoncés, mercredi 29 septembre 2021, à Stockholm, en Suède. Elle a été choisie pour son engagement pour la protection des femmes et des enfants dans l’extrême-nord du Cameroun, région la plus pauvre, la moins scolarisée du pays, région aussi fragilisée depuis le début des années 2010 par Boko Haram.

Juriste et militante des droits des

femmes, la Camerounaise Marthe Wandou est la lauréate 2021 du Right Livelihood Award, plus connu sous le nom de prix Nobel alternatif. Depuis des années, dans le nord du Cameroun, elle travaille à l’autonomisation des femmes et intervient auprès des familles pour les convaincre d’envoyer leurs filles à l’école. Un combat de longue haleine. Rencontre.
Née dans la région de l’Extrême-Nord en 1963, Marthe Wandou est diplômée d’une licence en droit privé de l’université de Yaoundé. Également titulaire d’un master en gestion de projet de l’université catholique d’Afrique centrale et d’un master sur les études de genre de l’université d’Anvers, elle est la fondatrice d’Aldepa (Action Locale pour un Développement Participatif et Autogéré), une ONG créée en 1998 pour lutter contre l’analphabétisation des jeunes filles, le mariage précoce et les abus sexuels commis sur les femmes.

À travers plusieurs campagnes de sensibilisation auprès des populations civiles, des autorités civiles et religieuses, l’association est parvenue à sensibiliser un large public sur les discriminations basées sur le genre. Des actions qui ont permis bien des progrès en 20 ans d’engagement, relatées avec modestie par celle qui s’est également attelée depuis 2013 à la prise en charge psychosociale des femmes et filles survivantes de Boko-Haram et à leur réinsertion sociale. Terriennes a pu s’entretenir avec elle.

Entretien avec Marthe WandouTerriennes : Vous êtes depuis deux décennies engagée dans plusieurs combats promouvant les droits des femmes et des enfants. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager dans ces combats ?

Marthe Wandou : Je suis née et j’ai grandi dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Dans un contexte assez spécifique, où les cultures et les traditions sont assez fortes. Déjà, quand j’allais à l’école, je remarquais les violences qui sévissaient vis-à-vis du peu de filles qui étaient inscrites dans les écoles, puisque nous étions deux à avoir commencé le primaire et à l’avoir terminé.

Donc, quand j’ai commencé à travailler dans le milieu du développement, j’avais un projet de renforcement des capacités des femmes. Avec la recherche et les formations que l’on faisait, je me suis dit que la situation n’allait vraiment pas changer si on ne travaillait pas dès la base. C’est pourquoi j’ai commencé avec l’éducation des filles, puis j’ai démissionné de l’ONG qui m’employait, car ce n’était plus ma vision pour me consacrer pleinement à la promotion des droits des filles et des femmes.

Vous avez souvent affaire à des filles très intelligentes, qui veulent aller à l’école, mais les parents décident de les marier.
Marthe Wandou

Le contexte fait que les filles sont envoyées précocement en mariage. Vous avez souvent affaire à des filles très intelligentes, qui veulent aller à l’école, mais les parents décident de les marier. Nous menons donc des campagnes de sensibilisation pour éviter ces situations, mais aussi d’accompagnement des victimes lorsqu’il y a des cas d’abus sexuels. Un sujet tabou ici, car lorsqu’une fille est violée, personne n’en parle. Les filles elles-mêmes ne pensent pas à dénoncer ces abus et lorsqu’elles le font, les parents ne veulent pas que ça se sache parce que personne ne voudra épouser une fille qui a été violée.

Il faut aussi savoir que nous avons toutes, dans la région de l’Extrême-Nord, vécu des violences basées sur le genre. Que ce soit le harcèlement sexuel ou les attouchements, de la part des garçons, des enseignants ou des adultes de la communauté. Et depuis 2013, nous avons aussi la crise de Boko Haram qui n’est pas sans conséquences sur les femmes et les filles. Elles ont été utilisées comme des esclaves sexuelles. Elles ont été violées. Elles vivent avec des traumatismes énormes parce que les maris furent tués devant elles, leurs enfants enlevés, ou elles-mêmes. Ce sont bien évidemment des situations extrêmes qui font qu’on ne peut pas croiser les bras, d’où ma motivation à continuer à faire ce travail.

<p>@Right Livelihood</p>

@Right Livelihood

L’association que vous coordonnez apporte un soutien psychosocial aux victimes de Boko Haram. Ces femmes parviennent-elles à se reconstruire ?

Les débuts sont difficiles et tout le monde ne s’en sort pas. Déjà, nous n’arrivons pas à entrer en contact avec toutes ces femmes qui ont été victimes de Boko Haram et traumatisées par le décès de leurs maris et l’enlèvement de leurs enfants, car certaines vivent dissimulées dans leur communauté. Les premiers moments avec celles avec lesquelles nous pourvons entrer en contact sont très difficiles, parce que les traumatismes sont ancrés. Il faut donc un travail de longue haleine pour qu’elles arrivent ne serait-ce qu’à s’exprimer, car dès qu’elles ouvrent la bouche, certaines commencent à pleurer et se renferment sur elles-mêmes.

Il faut donc passer par plusieurs méthodes pour initier un dialogue. Nous leur donnons tout le temps possible. On organise aussi des activités de cohésion sociale où elles peuvent travailler et manger ensemble, organiser des séances de chant et de danse. C’est à travers ces petites activités que nous les amenons à s’exprimer. Quand elles s’expriment, nous mettons à leur disposition des petits financements qui peuvent leur permettre de mener des activités. Nous les formons aussi pour les amener à comprendre que rien n’est perdu, et que même si elles ont vécu cette situation, et ont été traumatisées, elles peuvent encore se reconstruire. Il y en a quelques-unes qui sont arrivées à la résilience, mais pour la majorité d’entre elles, le chemin est long. Guérir d’un traumatisme n’est pas quelque chose de facile.

Cette année, 40 000 enfants qui devaient se présenter à leur premier examen scolaire, mais couraient le risque de ne pas pouvoir parce qu’ils n’ont pas d’acte d’état-civil.
Marthe Wandou

 

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