Procès contre le camp des vainqueurs, retour de Laurent Gbagbo, aide aux victimes… Dix ans après la crise postélectorale, certains signes laissent espérer un début d’apaisement.
Un silence de plomb règne dans la grande salle d’audience du palais de justice d’Abidjan. Sur l’écran plat face au public, des photos et des vidéos de victimes du massacre de Duékoué défilent, sans filtre ni floutage. La Croix-Rouge estime que plus de 800 personnes ont péri dans cette ville de l’ouest de la Côte d’Ivoire les 28 et 29 mars 2011. « J’ai photographié les 266 corps que j’ai vus », commente le témoin anonyme venu s’exprimer mercredi 7 avril, au sixième jour du procès d’Amadé Ouérémi.
Chef de milice, ce dernier était un supplétif du camp de l’actuel président, Alassane Ouattara, pendant la crise postélectorale qui fait plus de 3 000 morts en Côte d’Ivoire en 2010 et 2011. Arrêté en 2013, il est jugé depuis le 24 mars pour « assassinats massifs, viols, traitements inhumains et dégradants » à Duékoué. L’ancien planteur se défend en affirmant être arrivé sur place le lendemain des massacres. Il accuse ses supérieurs – le colonel Losseni Fofana, alias « Loss », et le lieutenant Coulibaly de Kouibly, dit « Coul » – d’être à l’origine de l’attaque.
Face aux photos de corps sans vie, Joël Olivier Blé craque et quitte la salle d’audience, en larmes. L’homme, qui a reçu des coups de machette et des balles dans le dos, marche avec une canne. Il a perdu toute sa famille dans les tueries du quartier Carrefour qui ont visé l’ethnie guéré, jugée favorable à l’ancien président Laurent Gbagbo. Malgré le choc, revoir les images des massacres est « nécessaire »,dit-il : « Il faut replonger dans le passé pour le juger et pour qu’un jour le pays soit en paix. »
« Pourvu qu’ils aillent jusqu’au bout ! »
Rapprocher les camps qui se sont opposés pendant la crise postélectorale était l’une des « priorités » de l’exécutif. Mais dix ans après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, le processus patine. Parce qu’il est le premier engagé contre le camp des vainqueurs, le procès d’Amadé Ouérémi pourrait ouvrir une brèche. Si beaucoup l’espèrent, d’autres soulignent que plusieurs militaires impliqués dans les violences ont bénéficié d’une ordonnance d’amnistie signée par le président en 2018. « Ouérémi n’est pas le seul responsable, il obéissait à d’autres chefs. Ce procès va-t-il réellement mettre en lumière les vrais coupables ? », interroge Willy Neth, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho).
Le Monde Afrique
Leave feedback about this