Dans un entretien accordé à France 24, l’envoyé personnel d’Emmanuel Macron pour l’Afrique déclare qu’il n’y a pas de « demande de départ » des troupes françaises de la part des chefs d’État gabonais, tchadien et ivoirien. Jean-Marie Bockel est chargé de la reconfiguration du dispositif militaire français établi au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Tchad.
En Côte d’Ivoire, ils ne seraient aussi plus qu’une centaine, l’effectif serait donc divisé par six. 300 soldats français resteront au Tchad. Il y devrait donc. Les bases militaires ne vont elles pas disparaître, elles auront vocation à se transformer en écoles, académies, via une cogérance avec chaque pays africain.
Sur la base de plusieurs sources anonymes, l’AFP a annoncé une réduction drastique de la présence militaire française en Afrique. Si le Tchad reste une place forte de l’armée française, le Sénégal, l’une des grandes bases encore existantes, devrait voir ses effectifs diminuer.
Si la France réduit drastiquement sa présence militaire en Afrique, comme l’annonce l’AFP(Nouvelle fenêtre), il s’agirait d’un revirement important. En effet, les militaires sont encore présents au Tchad et le Sénégal, quant à lui, héberge encore une grande base, mais ses effectifs devraient passer de 350 à une centaine.
Le Tchad héberge les derniers soldats de Barkhane
Ils sont 1 000 soldats français à être positionnés, en grande majorité dans la base aérienne de la capitale, mais aussi dans des camps dans deux villes du pays, à Abéché à l’Est et à Faya-Largeau au Nord. Si les informations publiées par l’AFP sont confirmées, leur nombre passerait à 300, une manière d’être moins visible, explique un diplomate.
Le Tchad est le dernier pays du Sahel où des soldats français de l’ancienne opération Barkhane ont été repositionnés après s’être fait chasser du Mali, du Burkina Faso ou du Niger. Dans ces trois pays, les militaires qui ont pris le pouvoir ont changé d’alliés et ont demandé aux Français de plier bagage en faisant appel aux mercenaires pro-russes de Wagner.
Au Tchad, il n’y a pas de présence avérée de ces nouveaux partenaires militaire, même si les rumeurs vont bon train, notamment à la suite du dégourdissement récent des liens entre N’Djamena et Moscou. Cependant, il y a dans la capitale tchadienne, comme ailleurs au Sahel, un sentiment diffus dans la société, qu’il faudrait repenser profondément cette présence militaire française, voire tout simplement pour certains y mettre un terme.
Une large partie de la population est jeune et ne voit pas bien l’intérêt d’avoir des soldats français dans leur pays. C’est pour répondre à ce sentiment de plus en plus répandu, qu’Emmanuel Macron a nommé il y a quatre mois, l’ancien ministre de la coopération Jean-Marie Bockel, pour discuter avec les pays concernés, y compris le Tchad.
La venue de Jean-Marie Bockel n’est pas passée inaperçue à N’Djamena, puisqu’après un tête-à-tête avec le président Mahamat Idriss Déby Itno, l’ancien ministre français a déclaré à la presse que « la France doit rester ».
Depuis l’indépendance du Tchad en 1960, Paris a maintenu une présence militaire de façon presque ininterrompue. Elle a toujours été doublée d’un soutien jusque-là inexorable aux régimes successifs tchadiens. De son côté, N’Djamena a toujours soutenu l’effort de guerre français au Sahel.
Le nouveau régime sénégalais souhaite voir les militaires partir
L’une des grandes bases française encore existantes en Afrique de l’Ouest se trouve à Dakar, au Sénégal depuis 2011, même s’il y en a eu plusieurs autres depuis 1974 dans le pays. Officiellement, ils sont encore 350 militaires basés à Dakar. Ces soldats sont appelés les EFS, pour éléments français au Sénégal. Contrairement à Bakhane, il ne s’agit pas de combattants, mais de formateurs.
Leur mission est d’être un « pôle opérationnel de coopération » à vocation régionale. En clair, les EFS font de la formation pour les soldats du Sénégal, avec qui ils organisent des exercices d’entraînement conjoints, mais aussi pour les autres armées de la région, dans une dizaine de pays, comme la Guinée-Bissau, le Bénin ou encore la Mauritanie.
Ces formations s’adressent aux armées de terre, de l’air, mais aussi aux soldats déployés en mer pour soutenir la lutte conte la piraterie et le terrorisme dans le golfe de Guinée. Le tout dans une logique d’appui aux armées nationales plutôt qu’une lutte directe contre les groupes terroristes. Selon les informations de l’AFP, ils ne seraient donc plus qu’une centaine à terme, mais le calendrier précis n’est pas connu et les EFS n’ont pas répondu à nos demandes de précisions.
Depuis leur arrivée au pouvoir, le président Bassirou Diomaye Faye et surtout son Premier ministre Ousmane Sonko ont exprimé à plusieurs reprises leur souhait de revoir le partenariat avec la France, à commencer par cette présence militaire française sur leur sol.
Ousmane Sonko a expliqué vouloir que le Sénégal dispose de ses bases militaires et lors d’une conférence avec Jean-Luc Mélenchon en mai à Dakar, il a questionné « l’impact de cette présence sur notre souveraineté nationale et notre autonomie stratégique ». Mais il ne s’agit pas d’une rupture franche comme dans les pays voisins et le Premier ministre a précisé ne pas remettre en question les accords de défense bilatéraux, mais aucun calendrier n’a été avancé, côté sénégalais pour le départ des soldats français.
Il faut cependant rappeler que le débat sur la réduction des bases françaises en Afrique date d’avant l’élection de Bassirou Diomaye Faye, puisqu’Emmanuel Macron l’avait mise sur la table dès février 2023. Les EFS, qui étaient encore 500 début 2023, avaient déjà prévu de réduire leur voilure de moitié pour l’été 2024 en passant à 260.
Une source à la présidence sénégalaise confirme que ce départ partiel des forces françaises ne s’est pas fait sur injonction du nouveau régime. En tout cas, le président Diomaye Faye est attendu à Paris le 20 juin, où il rencontrera pour la première fois son homologue Emmanuel Macron et le sujet sera probablement sur la table.
Avec près de 10 000 forces de présence en Afrique subsaharienne, la France dispose de bases militaires à Djibouti, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon, au Tchad et au Niger.
Djibouti :
Les forces françaises stationnées à Djibouti sont présentes sur place depuis l’indépendance du pays. Avec près de 1500 hommes, elles représentent le plus grand contingent de militaires français en Afrique. Sous le coup d’un protocole provisoire en date de juin 1977, un nouvel accord de défense, entré en vigueur depuis 2014, fixe leurs conditions de stationnement à Djibouti.
Côte d’Ivoire :
En 2012, la proximité historique entre la France et la Côte d’Ivoire avait fait sceller un accord de partenariat de défense entre les deux pays. C’est ainsi que le 1er janvier 2015, les forces françaises en Côte d’Ivoire ont été créées pour constituer l’une des bases opérationnelles avancées en Afrique.
Après la fin de mission de l’opération Licorne le 26 janvier 2015, avec au moins 950 hommes sur place, les forces françaises en Côte d’Ivoire sont devenues des forces de présence pour assurer un relais opérationnel dans cette zone considérée comme une des priorités stratégiques de la France, conformément au livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.
Gabon :
Déployées dans le pays depuis son indépendance en 1960, conformément aux accords de défense d’août de la même année, les forces françaises au Gabon (EFG) sont devenues au 1er septembre 2014, les éléments français au Gabon, avec environ 350 hommes. Avec Dakar au Sénégal, elles constituent le deuxième pôle opérationnel de coopération (POC) à vocation régionale.
Selon le site du ministère français de la Défense, les éléments français au Gabon comprennent un échelon de commandement, une unité terrestre (le 6e Bataillon d’Infanterie de Marine ou 6e BIMA) implanté au camp Charles De Gaulle à Libreville et une unité aérienne implantée à la base aérienne Guy Pidoux.
Sénégal :
Avec près de 400 hommes, les éléments français du Sénégal (EFS), présents depuis 2011, assurent la formation des soldats des pays de la région. Implantés au camp colonel Frédéric Geille à Ouakam et au camp contre-amiral Protet au port militaire de Dakar, les éléments français du Sénégal disposent d’une escale aérienne à l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor de Dakar.
Les EFS disposent également d’une station d’émission haute fréquence de la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI) basée à Rufisque.
Tchad :
Les éléments français au Tchad (EFT), près d’un millier d’hommes, ont pour mission de garantir la protection des intérêts français et de ses ressortissants vivant dans le pays. Ils apportent également un soutien logistique et un appui aux renseignements aux forces armées tchadiennes, conformément à l’accord de coopération signé entre les deux pays.
En 2013, le dispositif Épervier comptait près de 950 militaires affectés à deux bases principales, la base aérienne 172 à Ndjamena et la base capitaine Croci à Abéché, dans l’Est du Tchad.
A Faya, dans le Nord du pays est stationné un détachement d’une cinquantaine d’hommes. En 2014, l’opération Barkhane remplace officiellement les opérations Épervier et Serval pour appuyer les pays sahéliens partenaires.
Niger :
La France comptait entre 1 300 et 1 500 soldats déployés au Niger, ainsi que des avions de chasse et des drones. Ces hommes déployés dans le pays sont affectés dans trois bases à Niamey, la capitale, à Ouallam, au nord de la capitale, et à Ayorou, vers la frontière avec le Mali.
La base aérienne 101 de Niamey est une base non permanente située sur le site de l’aéroport international Hamani Diori. Elle sert de base de départ des drones Reaper qui effectuent des missions de renseignement et de reconnaissance dans le cadre de l’opération Barkhane au Sahel.
Mais à la suite du coup d’Etat qui a porté le général Tchiani au pouvoir, le Niger, après le Mali et le Burkina Faso, a négocié et obtenu le départ des forces françaises de son territoire d’ici la fin de l’année 2023.
Manifestations pour le départ des troupes françaises
« Armées françaises. Allez vous-en… » Alpha Blondy, le chanteur de reggae ivoirien, avait ouvert le bal des contestations pour le départ des troupes françaises de l’Afrique dans les années 90. Dans son album Yitzhak Rabin sorti en 1998, l’artiste demandait à l’armée française de partir du continent. Cette chanson marquait le début d’un nouvel ère de souverainisme.
« Avec l’avènement de la lutte contre le terrorisme avec l’opération Serval, puis Barkhane sur la demande de ces pays-là, la présence militaire française devrait contribuer à lutter contre ce phénomène », explique Dr Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute – Centre africain d’études sur la paix à Dakar.
« Hélas, on s’est rendu compte que l’objectif principal était de faire disparaitre des groupes terroristes, mais les groupes se sont multipliés. Donc, il y a un échec dans cet approche-là », argumente l’enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis au Sénégal.
« L’approche militaire a montré toutes ses limites et les pays ont commencé à douter de l’importance de la présence stratégique, en même temps s’est développé tout un ensemble de discours et certaines théories du complot qui allaient même dans le sens où cette présence était quelque part une manière d’attirer la menace terroriste, en tout cas de l’aggraver sur le continent », poursuit-il.
« Avec la montée en puissance d’une élite intellectuelle, d’un leadership africain de plus en plus jeune, consciente, mais aussi d’une jeunesse contestataire, je crois qu’aujourd’hui ces éléments combinés-là font que les présences militaires, à l’heure du souverainisme, sont vues comme étant quelque chose qui devait appartenir au passé », souligne Dr Bakary Sambe.
« Et on a vu que progressivement, aussi bien au Mali ça a été contestée, au Burkina Faso ensuite, mais aussi aujourd’hui au Niger où il est plus que jamais sujet pour que cette présence militaire disparaisse ou soit atténuée », explique M. Sambe.
L’Afrique pourra-t-elle gérer les questions de sécurité après le départ des français ?
« Ce ne sont pas seulement les militaires français qui quittent les pays du Sahel, mais aussi la MINUSMA qui quitte le Mali. Le gouvernement malien a fait appel au groupe russe Wagner pour l’aider à faire face à la crise sécuritaire croissante dans le pays », rappelle Tony Chafer.
« Cependant, dit-il, en l’absence de troupes françaises et de l’ONU dans le pays, il n’y a plus de contrôle sur ce que font les forces armées maliennes et leurs alliés du groupe Wagner ».
« Il est de plus en plus évident que la sécurité humaine s’est encore détériorée et que les violations des droits de l’homme ont augmenté depuis le retrait de Barkhane et le début de la réduction des forces de l’ONU », indique M. Chafer.
Selon lui, « le rôle principal de Wagner dans le pays n’est pas d’améliorer la sécurité de la population mais de soutenir le régime militaire malien – en d’autres termes, il est principalement là pour renforcer la sécurité du régime, et non pour améliorer la sécurité humaine de la population ».
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« S’il est vrai que les dix années de l’opération Serval (2013-23), suivie de Barkhane (2014-22), n’ont pas amélioré la situation sécuritaire dans le pays et ont même contribué à l’aggraver, on peut dire que la présence de Barkhane et des forces de l’ONU a eu un effet dissuasif sur les groupes armés dans une certaine mesure », soutient l’universitaire.
« Cette dissuasion n’existe plus et de nombreux éléments indiquent que la situation sécuritaire au Mali et dans l’ensemble de la région s’est détériorée en conséquence », déclare Chafer.
Tony Chafer estime qu’avec le départ des forces françaises et de l’ONU, « le conflit entre l’armée malienne et les rebelles pourrait aggraver l’insurrection islamiste dans le pays, où des groupes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique contrôlent de vastes zones ».
« Par ailleurs, les tensions n’ont cessé de croître depuis des mois entre la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) dans le nord du pays et la junte, faisant craindre la fin de l’accord de paix dit d’Alger et la reprise des hostilités entamées en 2012 », conclut-il.
Quelles alternatives pour les pays africains ?
Dans cette nouvelle situation géopolitique confuse et tendue, l’Afrique a besoin de repenser son devenir. Du moins, c’est ce que pense Dr Bakary Sambe.
« Je pense qu’il faut une rupture paradigmatique pour les pays africains. On a expérimenté avec la présence militaire que la sous-traitance de la sécurité qui est un domaine de souveraineté ne fonctionnait pas. Cela se termine toujours par des contestations mais aussi cela s’est soldé par des échecs, notamment dans le Sahel central dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. »
Selon Dr Sambe, dans la mesure où l’appel à des groupes d’autodéfense ou des groupes paramilitaires comme Wagner n’a pas atténué le phénomène terroriste, avec une recrudescence des attaques au Mali, où l’année 2022 a été la plus meurtrière en terme d’attaques terroristes, il faut mutualiser les forces.
« Je crois donc que si on se rend compte qu’aussi bien la sous-traitance de la sécurité par des puissances occidentales ne fonctionne pas, mais non plus la présence de milices d’autodéfense, en tout cas de groupes paramilitaires comme Wagner, il faut aller vers une mutualisation des forces et réactiver tous ces dispositifs dont on parle depuis très longtemps, aussi bien de la CEDEAO que de l’Union africaine, les dispositifs de Forces en attente, etc. »
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L’enseignant-chercheur estime « qu’il est temps aujourd’hui de jouer sur la mutualisation des compétences et des possibilités en termes de défense, mais d’aller vers une africanisation de ces forces-là et de coordonner au niveau sous-régional de la CEDEAO et au niveau régional pour ce qui est de l’Union africaine, d’avoir cette force africaine, qui depuis très longtemps, qu’on dit être en attente ».
« C’est l’heure de la mutualisation des compétences et des moyens. C’est l’heure aussi de la coopération interrégionale même, parce qu’un phénomène comme Boko Haram ne peut pas être seulement combattu par des pays de la CEDEAO ou des pays de l’Afrique centrale. On est obligé, au regard de la transnationalité des phénomènes, d’aller vers cette mutualisation des forces. »
« La montée en puissance d’une jeunesse contestataire, du principe de souverainisme, à un moment où l’Afrique a le choix de multiplication des partenaires et de leur diversification, posent un véritable problème à la France aujourd’hui, qui à mon avis, ne pourrait s’en sortir qu’en réinventant cette présence-là. Bref, elle ne pourrait s’en sortir qu’à une forme de réadaptation, mais en tout cas un changement de paradigme s’impose », renchérit Dr Sambe.
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