19 avril 2024
Paris - France
AFRIQUE INTERNATIONAL

Gbagbo, Condé, IBK, Kaboré, Issoufou… La  gouvernance en cinq leçons, par Marwane Ben  Yahmed 

Sortis du même moule socialiste, anticolonialiste et tiersmondiste, ces cinq chefs dÉtat ont suivi une trajectoire en tout point comparable. Sauf après leur accession au pouvoir..

Une jeunesse étudiante française marquée du sceau de léveil politique, à gauche et même à lextrême gauche, un attachement viscéral aux idéaux anticolonialistes et tiersmondistes portés par lemblématique Fédération des étudiants dAfrique noire en France (Feanf), des parcours de militants pugnaces de la démocratie et dopposants courageux, souvent contraints à lexil, une proximité assumée avec lInternationale socialiste (IS), et puis le grand soir, lélection tant recherchée et enfin acquise à la tête de lÉtat... 

L’Ivoirien Laurent Gbagbo (élu en 2000), le Guinéen Alpha Con(2010), le Nigérien Mahamadou Issoufou (2011), le Malien Ibrahim Boubacar Keïta (2013) et le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré (2015), notre « club des cinq » dAfrique de lOuest, cultivent de très nombreux points communs

À LIRE   « Alpha Condé demeurera en Guinée » : les putschistes ne lâchent rien 

Des rives de la Seine, sest façonnée leur culture politique, notamment au sein de la fameuse Feanf, aux palais présidentiels quils ont conquis, de leurs comparses dantan, Solange Faladé, Félix Mounié, Emmanuel Bob Akitani, Francis Wodié, Djéni Kobina, Seyni Niang ou Albert Tévoédjrè, qui firent résonner les murs de la rue Béranger se déroulaient les AG de la fédération estudiantine, à leurs homologues chefs dÉtat avec lesquels ils ont partagé pouvoir, ors, privilèges et responsabilités. Ils se connaissent depuis longtemps, échangent régulièrement, et les leurs se fréquentent. La solidarité entre camara des de lIS a souvent joué (sauf pour Gbagbo), s urtout lorsque François Hollande dirigeait la Fra nce et quils avaient ses faveurs... 

Immenses attentes 

Plus que tout autre président, du moins ceux issus du moule classique, ils ont suscité dimmenses attentes. Leurs idéaux originels le patriotisme, la véritable indépendance, la démocratie, les libertés, le sens de la justice sociale -, leurs parcours dopposants qui nont jamais hésité à affronter le maître du moment, leurs convictions profondes proclamées au fil de leurs carrières..

Autant dingrédients qui ont rallumé la flamme de lespoir chez leurs concitoyens. Celui dune autre gouvernance, plus ouverte, plus moderne, plus courageuse, plus juste, plus soucieuse des démunis, plus attachée à la souveraineté de nations jusquici habituées à se laisser piétiner par les grandes puissances

À LIRE  Les présidents africains sontils trop vieux

Ici sarrête le fabuleux destin commun de nos cinq camarades. La matrice originelle est une chose, ce que l‘on en fait en est une autre. Laure nt Gbagbo est tombé en avril 2011, victime de son entêtement ou de son aveuglement. Ibrahi m Boubacar Keïta aussi, en août 2020, pour les mêmes raisons. Et tout dernièrement, cest Alph a Condé qui a été emporté par un coup dÉtat

Il nest nullement question ici de justifier les putschs ou lusage de la force militaire pour mettre fin au règne dun président. En 

revanche, il convient de souligner léchec de ces trois chefs dÉtat dans tous les domaines ils étaient censés briller, évoqués plus haut. Les opposants au long cours qui arrivent tardivement (et à un âge avancé) au pouvoir font rarement de bons chefsGbagbo, IBK et Alpha nont jamais mis en pratique, ou si peu, ce qu‘ils ont si longtemps appelé de leurs vœux avant dêtre en position de le faire

GBAGBO ÉTAIT UN VÉRITABLE ANIMAL POLITIQUE, MAIS CERTAINEMENT PAS UN LEADER DESTIÀ PRÉSIDER AUX DESTINÉES DE TOUTE UNE NATION 

Il y a parfois certaines circonstances atténuantes, notamment la tentative de coup dÉtat dont a été victime le « camarade Laurent » en septembre 2002 et ses conséquences, mais il y a tout de même loin de la coupe aux lèvres. Gbagbo sest comporté en chef de clan, certes au sein dune citadelle assiégée. C‘était un politicien madré, un véritable animal politique doté dune intelligence audessus de la moyenne, mais certainement pas un leader destiné à présider aux destinées de toute une nation. Il avait trop de comptes à régler et doeillères culturelles pour le devenir

Roi fainéant 

Ibrahim Boubacar Keïta ? Il sest révélé plus roi fainéant que capitaine dun navire pris dans la tempête. On appelle cela le principe de Peter : un cadre qui sest élevé à son niveau dincompétence... Quant à Alpha Condé, si nul ne met en doute sa détermination ni son patriotisme, il nen demeure pas moins que lui aussi a failli dans sa mission, a fortiori quand on compare le pourfendeur de Lansana Conté et lhomme d‘État dans lexercice de ses fonctions

FRAPPÉ DU SYNDROME DHUBRIS, ALPHA CONDÉ SAVAIT TOUT MIEUX QUE TOUT LE MONDE, ET SEUL SON POINT DE VUE COMPTAIT 

« Alpha » était visiblement frappé du syndrome dhubris, cette perte du sens des réalités que les Grecs avait identifiée et combattue dès lAntiquité. Cestàdire la démesure, le crime dorgueil puni par les dieux, qui a inspiré à David Owen, un ancien ministre britannique des Affaires étrangères, également médecin, louvrage In Sickness and in Power (Dans la maladie et le pouvoir), dans lequel il cite 

quatorze symptômes résultant de la transformation de la personnalité de dirigeants politiques au contact du pouvoir. Absence de sens critique, arrogance, rejet des opinions alternatives, sentiment dimpunité... Bref, Alpha savait tout mieux que tout le monde, et seul son point de vue comptait

Concernant Gbagbo, IBK et Condé, lanalyse est hélas limpide : ces chefs, chargés de prendre les décisions et de conduire leurs pays sur la voie quils avaient pourtant tracée de longues années durant, ont développé, une fois au pouvoir, une totale inaptitude à le faire lucidement. Pis, leur comportement était en totale contradiction avec les idéaux qui les ont forgés

Lexemple d’Issoufou et de Kaboré 

Certes, quand on devient chef de lÉtat, il est nécessaire de faire des compromis avec sa conscience ou ses principes. Il serait naif, voire hypocrite de penser le contraire. Les chimères du militantisme ou de lidéalisme dent la place au pragmatisme. Le pouvoir, sa conquête comme son exercice, implique quelques entorses aux règles que lon se fixait auparavant. Il faut apprendre à fermer les yeux, à sallier avec des gens que lon napprécie guère, à chercher il se trouve largent nécessaire à ses ambitions ou à celles de son pays, à faire preuve de souplesse... Mais ces « arrangements » avec la morale ou la loi ne se justifient que si leur objectif final se confond avec lintérêt général. Ce qui na pas été, tant sen faut, le cas

Roch Kaboré, réélu en novembre 2020, et Maha madou Issoufou, qui a transmis après deux ma ndats le flambeau nigérien à Mohamed Bazou m en avril dernier, font, eux, figure dexemples au sein de cette « fratrie ». Ils nont bien sûr pas tout réussi, et beaucoup reste à faire dans leurs pays. Mais ils sont restés fidèles à euxmêmes, plaçant leur mission audessus de la famille, du clan, de lethnie pour devenir les présidents de tout un pays

À LIRE  Niger: Mohamed Bazoum à lépreuve du feu 

Leur gouvernance, plus transparente et consensuelle, sattache à servir lintérêt néral. La vie démocratique est plus saine que sous leurs prédécesseurs, les libertés ont progressé, léconomie également, malgré un contexte, sécuritaire notamment, délicat. Issoufou a su se retirer à temps et nul doute que Kaboré en fera de même. Il la dailleurs promis

« Je suis très heureux de la victoire de mon ami Roch. On est très liés, et nos destins, bizarrement, se sont recoupés. On a été Premiers ministres, puis présidents de lAssemblée nationale en même temps. Et voici quil rejoint la fratrie... », confiait IBK au lendemain de lélection de Kaboré, en novembre 2015. Une fratrie au sein de laquelle tout le monde na pas retenu et a fortiori appliqué les mêmes leçons..

JA

X