Anti Trafics (CAAT)
Après bientôt dix ans d‘existence, la Cellule aéroportuaire anti–trafic (CAAT) est aujourd‘hui une structure dépourvue de moyens, sans locaux ni ressources techniques. Un décret pris cet été par le gouvernement, en portant officiellement création, vise à lui donner un nouveau souffle.
Short en jean, veste trop large aux motifs blancs et roses, paire de baskets aux pieds, rien ne distingue vraiment d‘un autre le jeune homme noyé au milieu de dizaines de passagers à sa descente d‘avion en provenance de Lagos. Mais voilà, contrairement aux autres, pressés de récupérer leurs valises et de quitter l‘aéroport Félix Houphouët–Boigny d‘Abidjan en cette fin de matinée, il s’attarde très longuement en salle des e–visas, dont il n‘a pas besoin puisqu‘il est détenteur d‘un passeport nigérian, à la photo si floue qu‘on le reconnaît à peine. Une attitude suspecte qui attire l‘attention de deux agents de la Cellule aéroportuaire anti–trafic (CAAT).
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Le jeune homme doit être soumis à une fouille dans l‘unique salle dont dispose la CAAT à l‘aéroport, à une centaine de mètres des << arrivées ». Elle se trouve au second étage d‘un bâtiment à l‘intérieur délabré. La salle étroite, encombrée et sans fenêtre, qui fait aussi office de salle de réunion, n‘est pas vraiment adaptée à ce type de contrôle. La fouille ne révèle rien. En revanche, un test urinaire s‘avère positif à la cocaïne. Simple consommateur ou « mule » transportant de la drogue ingérée par boulettes ? Direction le centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody pour un scanner. À ce stade, l‘affaire n‘est plus entre les mains de la CAAT, mais entre celles de l‘Unité de lutte contre la criminalité transnationale organisée (UCT).
« Déstabiliser les réseaux
criminels »
La CAAT d‘Abidjan a vu le jour en décembre 2012 dans le cadre du projet AIRCOP, un projet multi–agence porté par l‘Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), en partenariat avec Interpol et l‘Organisation mondiale des douanes (OMD) et financé par
l‘Union européenne. Son objectif : « déstabilise r les réseaux criminels dans les pays d‘origine, d. e transit et de destination, en renforçant les capacités d‘interception et de détection des drogues et autres produits illicites, ainsi que des passagers à risque élevé, parmi lesquels les combattants terroristes étrangers, dans les aéroports internationaux ».
Pour ce faire, AIRCOP s‘appuie sur dix–sept CAAT en Afrique et dix en Amérique latine et dans les Caraïbes, dont il facilite la transmission sécurisée d‘informations opérationnelles en temps réel entre les services au niveau national, régional et international, en les connectant à la base de données criminelles d‘Interpol et de I‘OMD. Celle d‘Abidjan dépend aujourd‘hui du ministère de la Sécurité et a été placée sous le contrôle administratif du Comité interministériel de lutte anti-drogue (CILAD).
Peu de moyens
Près de dix ans après sa mise en place, le gouvernement n‘a pris que le 16 juin dernier un décret portant sa création, ses attributions, sa composition, son organisation et son fonctionnement. « Avec ce décret, la CAAT, qui n‘avait pas véritablement d‘existence légale jusqu‘à présent, va bénéficier d‘un nouvel élan », espère le commissaire principal de police, Assoumou Assoumou, placé à la tête de ce service depuis août. Un fonctionnaire chevronné, qui attend de ses équipes « des résultats », malgré le peu de moyens mis à leur disposition.
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Des ordinateurs tous hors service, pas de ligne téléphonique ni de connexion internet, aucune voiture de fonction pour rallier des sites éloignés (notamment celui du service de courrier DHL que les équipes du CAAT doivent contrôler, à plus d‘un kilomètre de l‘aéroport), pas de locaux adaptés, pas de cellule de fouille à l‘arrivée, aucun scanner. Le décret prévoit que l‘Autorité nationale de l‘aviation civile (ANAC) fournisse des locaux fonctionnels et prenne en charge l‘installation et le bon fonctionnement des lignes téléphoniques, d‘internet, un accès à l‘eau et à la climatisation, ainsi que « toutes les autres commodités nécessaires à un environnement de travail décent, efficace et efficient ». « Nous allons rattraper cela », assure le patron de l‘UCT, le commissaire divisionnaire Adomo Bonaventure, tuteur opérationnel de la CAAT.
Corruption
En plus de ce manque de moyens, la quarantaine d‘agents (gendarmerie nationale, police, douane et eaux et forêts) fait aussi face à une absence de coopération des compagnies aériennes censées leur fournir une liste des passagers et un détail sur les vols pris pour chacun. « Ce détail des vols est indispensable. Où s‘est rendu le passager ? A-t–il payé cash ? Qui a acheté le ticket ? Si nous n’avons qu‘un nom, cela ne sert pas à grand–chose », insiste le
commissaire Assoumou Assoumou, installé dans son minuscule bureau au bord des pistes. Sur dix–sept compagnies, seules trois coopèrent pleinement. La technique la plus efficace reste alors celle du « profilage » à la descente d‘avion : un passager qui s’attarde trop aux toilettes ou au service des e–visas, un autre agité. Celle du renseignement porte aussi ses fruits : « Dans le cas d‘un trafic d‘êtres humains par exemple, nous attendons que les passeurs et les victimes se présentent à l‘aéroport pour caractériser l‘infraction. »
LES TRAFIQUANTS SAVENT QUE CETTE CELLULE EXISTE, ILS SONT TRÈS VIGILANTS
Autre difficulté majeure : la grande adaptabilité des trafiquants. « Entre 2017 et 2019, la CAAT a saisi beaucoup de drogues, mais aujourd‘hui, les trafiquants savent que cette cellule existe, ils sont très vigilants et passent par d‘autres circuits », déplore le commissaire divisionnaire Adomo Bonaventure. En 2021, la CAAT a saisi 2 639 kilos de marchandises, principalement des produits cosmétiques contrefaits (1600 kilos) et de faux médicaments (550 kilos). Parmi les drogues, ses agents ont mis la main sur 46 kilos de Tramadol.
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Dernier défi de taille, celui de la corruption. En 2018, quatre agents de la CAAT ont été accusés d‘avoir extorqué 100 000 francs CFA à un homme d‘affaires belge qui refusait de se soumettre à un test urinaire et placés en détention provisoire. « Le recrutement se déroule sur la base d’un appel à candidatures, les fonctionnaires doivent montrer patte blanche. Ils passent un entretien et sont soumis à un polygraphe. Ils doivent être au–dessus de tous soupçons, incorruptibles », assure le secrétaire général de la CILAD, Kouma Yao Ronsard Odonkor. Conscient de l’enjeu, le commissaire Assoumou Assoumou entend bien en faire une priorité : « Il faut faire tout notre possible pour que la corruption ne s‘implante pas ».
JA
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